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Le point Mediapart sur les travaux aux Deux-Alpes, l'Alpe d'Huez et La Grave
Proposé par Albrecht le 03.11.25 à 09:09 :: www.mediapart.fr :: 253 vus ::
2 commentaires :: Politique et Société
Les Deux-Alpes et l’Alpe d’Huez, ces montagnes qu’il fallait « défoncer »
En installant de nouveaux téléphériques, la Société d’aménagement touristique de l’Alpe d’Huez a multiplié les travaux invasifs dans les milieux naturels, sans autorisation. Aux Deux-Alpes, elle a effectué des remblais sur des zones glaciaires et touché au glacier de Mont-de-Lans.
Karl Laske
2 novembre 2025 à 17h41
« Oui« Oui, il y a eu des coups de pelleteuse qui ont été mis sur le glacier. Des photos ont été prises de la pelleteuse qui dégomme le glacier », admet un employé du domaine skiable des Deux-Alpes en Isère.
À 3 200 mètres d’altitude, à l’arrivée du nouveau téléphérique inauguré en janvier 2025, au pied du glacier de Mont-de-Lans, la Société d’aménagement touristique de l’Alpe d’Huez et des Grandes Rousses (Sata Group) fait comme bon lui semble. Après avoir obtenu la délégation de service public (DSP) de la station, en 2020, dans des conditions troubles, et avoir installé le téléphérique Jandri 3S pour un coût de 148 millions d’euros, elle s’est livrée à de nombreuses opérations de réaménagement sur les milieux naturels du domaine skiable. Sans autorisation. Et elle a touché au glacier.
« Des remblais ont été effectués parce qu’il y a eu un recul glaciaire qui a fait un trou devant l’arrivée du 3S, justifie l’employé de la Sata, sous couvert d’anonymat, auprès de Mediapart. On l’a remblayé. » « C’est un parc d’attractions qu’on a, poursuit le salarié. Vous n’imaginez pas l’impact des aménagements. Le recul glaciaire laisse un terrain défoncé. On se retrouve avec des arêtes. De la roche. C’est “inempruntable” pour des pistes de ski. »
Le glacier, en recul sur son versant nord, a aussi été « défoncé » sur la partie qui rejoint la piste du Signal. « Des terrassements ont été faits pour rendre la zone skiable », confirme l’employé de la Sata.
Aux Deux-Alpes, l’objectif de la Sata est de pouvoir faire monter 3 000 client·es à l’heure, et ses réaménagements visent ainsi à « rendre skiables » certaines zones, y compris pour les débutant·es et les enfants. Mathieu Crétet, de l’ONG Mountain Wilderness France, a découvert l’ampleur des terrassements réalisés devant la gare d’arrivée du téléphérique.
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En haut, le site de l’arrivée du téléphérique Jandri 3S face au glacier. En bas à droite et à gauche, des remblaiements non autorisés effectués au pied du glacier, durant l’hiver 2022. © Documents Mediapart et capture Google Earth
« On s’est aperçus que la Sata a remblayé près de 2 000 mètres carrés de lac à l’occasion de la construction de la gare “amont” du 3S, explique-t-il. À cet endroit, un lac glaciaire s’était formé. Il s’était vidé naturellement, dans la Romanche, en septembre 2018, en laissant un espace convexe, mais à l’occasion des travaux du 3S, il a été complètement remblayé, et ses abords ont été nivelés. » Selon des photos obtenues par Mediapart (voir ci-dessus), des pelleteuses sont entrées en action, dès le mois d’octobre 2022, pour opérer des remblaiements au pied du glacier.
Sans autorisation
Ces travaux, documentés par des photos de l’IGN (voir ci-dessous) et sur Google Earth, ont été réalisés « sans se soucier du droit de l’environnement », « de l’intérêt que peuvent avoir ces espaces naturels et de la ressource en eau », juge l’ingénieur, issu d’AgroParisTech. « Ce qui nous choque, c’est l’aspect symbolique de ces actions. On est devant l’apparition d’écosystèmes rares et précieux, et on les remblaye, sans ménagement. »
Contacté, Fabrice Boutet, directeur général de la Sata, n’a pas répondu à nos questions. Jean-Louis Arthaud, maire de Saint-Christophe-en-Oisans, commune de la zone d’emprise du glacier et d’une partie de la gare du téléphérique, a indiqué à Mediapart n’avoir pas été informé de ces remblais. « J’ai vu passer l’autorisation de construction [de la gare], et j’ai validé son déplacement de 50 mètres, mais pour le reste je n’ai pas été consulté », déclare-t-il.
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Ces quatre images permettent de voir le lac glaciaire et son remblaiement en 2024, lors de la construction de la gare du Jandri 3S. © Images IGN
Des travaux sur la piste voisine du Signal ont également touché le glacier après la découverte de cavités et de voûtes sous-glaciaires profondes de plusieurs dizaines de mètres. En janvier 2023, la Sata avait justifié la fermeture de cette piste par « la très faible épaisseur de neige et de glace recouvrant ces cavités » et par « l’impossibilité d’accès de tout engin motorisé (dameuse, motoski) ».
Ces travaux ont consisté à « creuser une nouvelle piste, en passant par l’épaule rocheuse pour rejoindre la langue terminale du glacier », selon le salarié de la Sata, joint par Mediapart. Et « à virer les bouts de glace » qui restaient sur le parcours et à remblayer les cavités apparues. « Ils ont démoli la glace pour refaire la piste, confirme un témoin à Mediapart. La nouvelle piste est plus profonde et plus étroite. »
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Des élus locaux lors d’une visite de chantier face au glacier du Mont-de-Lans. © DR
Mais ces travaux n’ont pas non plus fait l’objet d’autorisation, selon le maire de Saint-Christophe-en-Oisans. « C’est moi qui ai donné l’ordre de la fermeture de cette piste, puisqu’elle était dangereuse, explique-t-il à Mediapart. La commission de sécurité a donné un avis que j’ai validé, mais ça n’a rien à voir avec des travaux du domaine skiable. Je n’en ai pas été saisi. »
« Fabrice Boutet était directeur commercial dans l’industrie [de la climatisation – ndlr], il ne comprend pas qu’il est délégataire de service public, et que c’est à la commune de fixer les investissements, commente un ancien cadre communal. Il y a une inversion des rôles. Les travaux sont pour la plupart réalisés hors DSP. Boutet et son directeur des opérations décident des travaux, et une fois réalisés, mais pas toujours, ils vont voir les maires pour les faire régulariser par des avenants. » La sécurité est une « prérogative des maires », y compris en matière de travaux.
À l’absence d’autorisation s’ajoutent de possibles infractions à la loi sur l’eau. Des sujets que le président de la Sata, le maire (Les Républicains) de l’Alpe d’Huez et conseiller régional Jean-Yves Noyrey, devrait connaître, vu qu’il représente le conseil régional aux comités de pilotage de quatre sites Natura 2000, chargés de protéger la biodiversité. Contacté, il n’a pas répondu à Mediapart.
Le téléphérique qui traverse le glacier de la Girose est un projet d’aménagement hors du temps.
Francis Charpentier, vice-président de l’ONG Mountain Wilderness
Un autre front s’est ouvert sur le massif des Écrins, avec le projet d’un nouveau téléphérique porté là encore par la Sata sur le glacier voisin de la Girose, sur la commune de La Grave. Estimé à 14 millions d’euros environ (dont 4 millions d’euros de subventions publiques), ce projet d’unité touristique nouvelle (UTN) a bénéficié d’un avis favorable et d’un permis de construire en 2023, avant d’être contesté auprès du tribunal administratif de Marseille, puis d’être soumis à une « concertation pour l’élaboration d’un projet de territoire » qui a débuté au printemps.
Il s’agit de la réalisation d’un troisième tronçon de téléphérique (T3) traversant le glacier de la Girose en diagonale, jusqu’au sommet du dôme de la Lauze (3 600 mètres). La Sata prévoyait la construction d’une nouvelle gare de départ et d’une gare d’arrivée, et l’édification d’un pylône de 27 mètres de haut.
Ce projet s’est heurté à l’opposition d’un collectif d’habitant·es, La Grave autrement, et de plusieurs ONG, dont Mountain Wilderness : « Les deux tronçons existants suffisent, explique Francis Charpentier, son vice-président. Le sujet n’est pas “on fait” ou “on ne fait pas” le T3. Nous sommes déterminés à ce que le glacier de la Girose soit protégé. C’est un projet d’aménagement hors du temps. »
La présence sur le site de spécimens d’une primevère, l’androsace du Dauphiné, une plante qui devrait être protégée sauf « raison impérative d’intérêt public majeur », a prouvé l’insuffisance de l’étude d’impact de la Sata.
Sans attendre l’autorisation des travaux, la Sata avait opéré des piquetages, installé un Algeco et des filets pare-pierres sur un espace préalablement nivelé, sur le rognon rocheux censé supporter le pylône médian de l’installation. L’enjeu est désormais d’obtenir la protection renforcée du glacier de la Girose (voir l’encadré ci-dessous). « Nous avons aussi expliqué l’importance des milieux périglaciaires, détaille Vincent Neirinck, un autre militant de l’ONG. Il s’agit de zones naturelles vivantes qui ont été sous cloche glaciaire pendant des siècles, qu’il faut protéger. »
Vers une protection forte
Bien qu’intégrés au parc national des Écrins, le glacier de Mont-de-Lans et son voisin de la Girose, en amont de la commune de La Grave, ne bénéficient pas d’une protection forte – censée limiter, voire supprimer l’impact des activités humaines. Mais les ONG attendent la concrétisation d’une nouvelle politique française de protection des glaciers consécutive au One Planet-Polar Sumit de Paris, en novembre 2023.
En effet, une circulaire ministérielle du 28 février 2025 relative à la protection des glaciers et écosystèmes glaciaires prévoit « d’identifier les territoires concernés par l’objectif de renforcement de la protection forte ». Des « concertations locales » doivent se tenir afin de proposer de nouvelles aires de protection forte à l’horizon 2030.
À la création du parc national des Écrins, en 1973, les glaciers de Mont-de-Lans et de la Girose, bien qu’en aire protégée, n’ont pas été intégrés dans la zone dite du « cœur » du parc, bénéficiant d’une protection renforcée. Cette anomalie, s’agissant de la plus grande calotte glacière du massif des Écrins, a permis aux gestionnaires du domaine skiable des Deux-Alpes de « s’agrandir en paix », afin de « rejoindre le club très sélect des stations internationales », selon Aline et Pierre Champollion, dans un livre paru en 1978 sur les parcs nationaux L’Écologie dénaturée.
Les communes de Saint-Christophe-en-Oisans et des Deux-Alpes ont signé, en 2013 et 2015, la charte du parc national des Écrins qui les engage à « gérer durablement les lacs d’altitude » et à « accompagner les stations dans des démarches de qualité environnementale ».
« Les projets à terme de ces grandes stations ne sont pas du tout évoqués, pointe Francis Charpentier. Ils ont des impacts très forts. Il y a un projet qui est déroulé, mais c’est un projet masqué. Il est difficile d’apprécier les effets cumulés, par petits bouts, alors que le schéma d’ensemble existe. »
Sur la table depuis dix ans, la construction d’une liaison reliant les domaines skiables des Deux-Alpes et de l’Alpe d’Huez, enjambant la vallée de la Romanche, était la traduction de cette vision d’ensemble. Elle a finalement été abandonnée, en 2023, par la communauté de communes (CC) de l’Oisans lors de l’approbation du Schéma de cohérence territoriale (SCoT).
« Avec le réchauffement climatique », la liaison des domaines skiables était devenue « impossible et irréaliste », a justifié Guy Verney, président de la CC de l’Oisans. Puis l’hypothèse de relier les cœurs de station a été écartée pour « des difficultés environnementales » liées à l’implantation des pylônes sur des zones protégées.
Une « résilience » synonyme de terrassements et de travaux pharaoniques
Mais le DG de Sata Group croit pouvoir enjamber les difficultés. Avec « trois grands domaines mondialement connus », « proches les uns des autres tout en étant très différents, l’Alpe d’Huez, les Deux-Alpes et La Grave », Fabrice Boutet vend d’abord de l’altitude, soit « quatre accès à plus de 3 000 mètres et un pic à 4 000 mètres » et « de la neige presque [sic] toute l’année ». « Le ski reste le principal vecteur de rentabilité qui nous permet, pour les cinquante ans qui viennent, d’être actifs sur une résilience de la montagne », expose-t-il.
La rentabilité du groupe réside dans l’accueil d’une clientèle étrangère – aujourd’hui plus de 50 % du chiffre d’affaires – et sur l’arrivée sur l’Alpe d’Huez et les Deux-Alpes des client·es de moyenne montagne. « On a des stations qui vont fermer faute de neige. On est confrontés à un report sur les stations d’altitude. Il faut préparer l’accueil de ces gens », explique un cadre communal.
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Résultat : « Il y a déjà une surfréquentation des domaines skiables de l’Alpe d’Huez, juge un élu. Et pas mal d’attente aux remontées mécaniques. Les moniteurs sont inquiets de cette surfréquentation, avec des skieurs qui vont souvent au même endroit. » Et d’une accidentologie en hausse, avec « des comportements de plus en plus à risque ».
Pour attirer une autre clientèle, moins sportive, voire pas du tout, Sata Group développe « l’accueil d’événements », comme Tomorrowland Winter, la déclinaison « montagne » du festival de musique électronique belge, très brièvement interrompu en mars dernier par une action d’Extinction Rebellion.
Illustration 4Agrandir l’image : Illustration 4
L'affiche de l'édition 2025 du festival Tomorrowland Winter © Dr
Ce partenariat qui oblige la commune et la Sata à garantir la disponibilité de 26 000 lits pour les festivaliers et festivalières, et qui a nécessité aussi d’importants travaux, a été vivement critiqué par la chambre régionale des comptes.
Cela n’a pas empêché la Sata de nommer Florian Noyrey, fils du maire de l’Alpe d’Huez et président du groupe, comme directeur de l’événementiel, alors qu’il était auparavant prestataire chargé du damage des pistes – via sa société Flo Terrassement.
La « résilience » a donc surtout été synonyme de terrassements et de travaux pharaoniques. Le dernier projet de la Sata, « Altitude 3 300 », chiffré à 180 millions d’euros, vise à relier les cinq stations du domaine de l’Alpe d’Huez (Oz 3300, Villard Reculas, Vaujany, Auris-en-Oisans et Huez), et à « atteindre plus rapidement l’altitude », moyennant la construction de cinq nouvelles télécabines. Le premier tronçon, avec la nouvelle télécabine du Pic Blanc et sa nouvelle gare, a été inauguré, dans l’euphorie en janvier 2025.
En février 2023, lors d’une visite de la station, le président de la région Laurent Wauquiez avait chaudement félicité Fabrice Boutet et Jean-Yves Noyrey pour leurs projets, en espérant que l’Alpe d’Huez devienne « le modèle de ce que représente la montagne en France ».
« Quand on met plus de monde là-haut, il faut élargir les pistes, objecte Francis Charpentier, de Mountain Wilderness. À l’Alpe d’Huez, le domaine est raide, cela suppose des travaux. Des pistes sans aspérités. Et en pratique, ce sont des concassages, une destruction irréversible, pour que ça ressemble à un stade plus qu’à une montagne. Ces bouleversements de la montagne ne la rendent pas attractive l’été. Ce qui est étrange, c’est de mettre plus de monde dans un espace qui se rétrécit. »
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Travaux sur la piste de la Mine en septembre 2023 (en haut) et sur la piste de la Balme réalisés en octobre 2023 (en bas). © Photos Mountain Wilderness
La spécialité de la Sata reste d’engager ces travaux sans demander d’autorisation aux communes. En octobre 2023, Mountain Wilderness signale à Jean-Yves Noyrey l’absence d’autorisation de quatre chantiers en cours sur le domaine de l’Alpe d’Huez - la Patte d’Oie, les pistes de la Mine et de la Balme, le secteur des jeux et du télésiège des Romains. L’ONG ne reçoit aucune réponse.
Lors du projet de construction du nouveau télésiège du « Loup blanc », visant à « absorber l’afflux de skieurs » entre les domaines de l’Alpe d’Huez et celui de la commune d’Auris, la Sata n’a même pas attendu la fin de l’enquête publique pour démarrer les travaux. France nature environnement (FNE) Isère s’alarme. Ce futur télésiège de 1 800 mètres de long, permettant « un débit à terme de 3 000 personnes par heure », doit « traverser, dans sa partie basse, trois zones humides [les Bergers, les tourbières du Rif Nel et le rocher du Goulet – ndlr] » et se trouve pour partie dans la zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) du massif des Grandes Rousses.
L’avis du commissaire enquêteur est néanmoins favorable avec réserves, mais le projet est stoppé grâce au veto d’un propriétaire. Hélas pour la Sata, qui a mis la charrue avant les bœufs, le télésiège a été acheté.
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« Ils étaient sûrs de le faire, commente un opposant. Ils avaient commandé à l’avance l’ensemble du matériel, et ils avaient commencé les travaux au départ, dans la zone des Bergers. Ils ont semble-t-il passé un deal financier avec leur fournisseur. »
Chaque reprise de domaine est l’occasion d’un remodelage des espaces naturels. C’est le cas ces derniers mois, en marge du remplacement de la remontée mécanique de Poutran à Oz-en-Oisans.
En juillet, FNE et Mountain Wilderness ont engagé un recours gracieux contre l’autorisation d’exécution des travaux de la télécabine délivrée par les maires d’Oz et de l’Alpe d’Huez, jugeant « l’étude d’impact gravement lacunaire ». « L’avis de l’autorité environnementale n’a pas été pris en compte », déplore Elodia Bonel, de FNE. Mais les travaux sont déjà bien engagés.
« Ils défoncent la montagne, s’alarme un riverain. Ils sont en train de refaire tout le terrassement, pour réaliser une piste bleue pour que les gens descendent plus facilement. »
Karl Laske
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