Météo/températures : Grand beau, très léger vent de sud, iso 0° sans doute vers 2500/3000m. regel faible jusqu'à 3000puis correct ensuite.
Conditions d'accès/altitude du parking : sec
Altitude de chaussage/déchaussage : environ 2200m (accès possible à Talèfre par le couloir central du glacier (sinon échelles)).
Conditions pour le ski : déplorables: dure, croûtée, goulottée, criblée de marches, de boules et autres obstacles rocheux (en rive droite, cela a l'air cependant assez lisse)
Activité avalancheuse : RAS. Des purges ces jours derniers en versants sud à plus de 3000m. Des purges entendues en fin d'après-midi dans le bassin de Leschaux sous 3000m.
J’aurais aussi pu titrer cette sortie : « Knocking on Heaven’s Door ». parce que ce n'est pas tous les jours que j'ai le sentiment d'avoir vécu une telle plénitude, extra-ordinaire (pour moi 😉)…
Au tout départ, il y a un cadeau de ma petite famille ; et ce qu’il y a de bien avec la famille, c’est qu'elle vous connaît bien, et donc ses cadeaux vous plaisent bien(1).
Bien, bien, mais quel rapport avec Skitour* ? OK, j’irai droit au but(2) : aucun rapport, ceci n’est pas une sortie à ski. Même pas un "#NIS intégral", diront quelques vieux skitouriens qui aiment chambrer…
Sauf que c’est une sortie réussie grâce aux amis de Skitour —à qui je dédicace aussi ce CR.
Et c’est une sortie qui aurait pu être à ski. D’ailleurs le refuge était plein de skieurs. Mais aucun n’est allé skier le Whymper, alors pourquoi moi ? Car ils ont bien eu raison, ces skieurs non-skieurs qui ont fait du ski et de l'alpinisme😉 : le Whymper est croûté, goulotté, criblé de marches, de boules et autres obstacles rocheux (voilà aussi de l’info pour Skitouriens affamés). On a connu plus skiant. Mais un bon prétexte pour se donner un but comme but…
D’où le cadeau: puisqu'on m'avait offert un vol en parapente (je n'en ai jamais fait) et trouvé un cador pour me faire sauter, "autant décoller d'un sommet digne de ce nom" me suis-je dit. J'avais projeté de skier un jour le Whymper mais c'est bien difficile de choper les bonnes conditions, alors pourquoi ne pas le remonter tranquillement et redescendre du sommet en parapente, hein ? 😇
J-30: crampons, piolets, sac à dos, technique couloir…, ok, j'ai. Que me manque-t-il pour ce projet ? Ah oui, des globules. J’obtiens de quelques amis charitables —à qui je dédie ce CR— d’aller m’aider à en produire quelques décis en Vanoise et dans les Écrins. Je complète par quelques séjours au plus près des étoiles (3). C’est pas du luxe: à ce moment-là, je suffoquais dès 2 900m comme une carpe venant s’échouer sur un barbecue surchauffé. J-10: « Allo Zeb, on dirait qu’un créneau se dessine la semaine prochaine ? » « Yes, cela peut être tout bon mercredi-jeudi ». Good…
J-4, 11h: Mais c’est quoi ces cumulus mercredi ? Ces risques d'orage jeudi ? Et ma Verte ? Et c’est quoi ce mauvais temps annoncé jusqu’à la semaine suivante au moins ? Et mes globules ??😩
J-4, 11h30: « Dis donc Zeb, cela vaudrait pas le coup de courir à Chamonix aujourd'hui ? demain mardi, c’est grand beau… » « Yes, nickel, rdv au téléphérique de l’Aiguille du Midi à 15h, on pourra avoir des thermiques et espérer atterrir au Couvercle » « … »
J-4 devient J1.
J1.
13h départ de la maison.
13h15 achat du gâteau basque au caramel qui fait les courses réussies.
13h20 flash en excès de vitesse, je regrette le gâteau basque.
14h45 Servoz. Frein à main, une sponsor familiale me fournit une paire de snow plak(4), C’est l’arme décisive pour la marche d’approche.
14h50: l’arme décisive ne livre pas son mode d’emploi ni son tournevis, bah, on verra bien, cela a l’air simple.
15h benne.
15h45 Aiguille du Midi. Ben, pourquoi on est dans les nuages ? et mon décollage ?? J’avais prévu beaucoup de scénarios, mais pas le but téléphérique !! Descente express de l’arête, y en a un qui y croit ferme : cela tombe bien, c’est mon pilote de parapente.
« Zeb, je peux t’aider pour la voile ? » « Oui, mets ta sellette ! » « … » Ah oui, le truc pour s’asseoir. OK, je la boucle, et me prépare à attendre l'éclaircie. En me demandant bien pourquoi il étale la voile face à la vallée de Chamonix, à gauche, alors que la Vallée Blanche et Talèfre, c’est de l’autre côté, à droite ??
« OK c’est bon, tu te places là, le sac sur le ventre, ce sera plus commode » « Euh, oui, mais y a comme un nuage, non ? » « Pas grave, on va passer sous le plafond » « … »
Bon, s’il le dit… (moi, je n’ai jamais fait de parapente, donc mieux vaut lui faire confiance aveuglément, d’autant plus qu'on ne voit pas à 30m).
Premier essai, la voile se gonfle, une petite risée, j’ai l’impression que quelqu’un veut me jeter de l’autre côté du Grand Capucin(5).
« Allez, on court ! » Je cours, il court, effectivement cela marche, et c’est l’envol(6).
Et puis oui, on crève le plafond. Et là… pfiou… j’en prends plein les yeux !! Toutes les voies que j’ai vues d’en bas ou de l’intérieur, en progressant plus ou moins élégamment, en ayant trop chaud ou trop froid, se profilent gentiment. Flash(back) géant de mes quelques(7) décennies d’alpinisme. Le Frendo est sous nos pieds, puis on longe toutes les faces Ouest et Nord des Aiguilles. Les souvenirs et les piliers défilent… Bon sang, mais pourquoi était-ce si compliqué d’aller chercher ce relai en haut du Peigne ? et les fissures de Blaitière ? et le Spencer ? et les marches d’approche casse-pattes dans les moraines ? et les moraines casse-pattes après la course ? Voilà l’Aiguille de la République, mamma mia, mais que c’est raide !
Enfin, la Mer de Glace et le suspense final : passera ou passera pas au-dessus des Égralets ? Le Moine se rapproche(8)… Enfin, son arête sud… enfin, la base de son arête sud… enfin, les pâturages à sa base… mais yessss, cela passe et, hop, on se pose comme une fleur 5 mètres au-dessus de la petite boîte à couvercle. « Bonjour tout le monde ! »
Merci pour ce baptême de l’air, Zeb! C’est fini pour aujourd’hui. Et c’est déjà juste énorme.
Et, hum, il ne reste plus qu'à régler ces snow plak… Le crux du jour… Les sangles, c’est sous le crampon ou sur la chaussure ? Ah, peut-être entre le crampon et la chaussure ? Chacun appelle son sponsor perso « Ah euh, je sais plus, je ne m’en suis servie qu’une fois, mais c’est très simple ». Ok, on fera des nœuds demain et on verra bien(9).
J2.
23h30. Dring! Les premières cordées se lèvent. P…, je me souviens maintenant pourquoi j’en ai marre des refuges (cela dit, tout le monde a fait bien discret, merci)
0h30 Dring! À nous… P…n, je me souviens maintenant pourquoi j’ai arrêté l’alpinisme.
3h30. Hé hé, voilà la rimaye, et j’ai encore plein de globules dans le réservoir. Les étoiles scintillent, une lueur se dessine sur les flancs de la montagne, la lune se lève. C’est bien bon d’être là, quand même. P…n, je me souviens pourquoi j'ai aimé l'alpinisme.
5h. Bien soutenu, ce Whymper, quand même. je le voyais peinard à 40-45°, on peut presque ajouter 5°. La neige porte bien, on trouve encore des marches ici ou là, quelques petits ressauts pour pimenter car même si l’esthétique d’un couloir naît de la répétition du geste, comme disait ce bon Rébuffat —en parlant de l’apéro?—, un peu de diversité ne nuit pas. Surtout aux mollets. Surtout la nuit.
6h15. On émerge littéralement sur l’arête sommitale, soleil, pas de vent, une vue de dingue (et elle est gratuite), et bien content d’en finir: j’ai épuisé mon stock de globules depuis un moment et les poumons commencent à fumer.
Et donc, maintenant, je peux déballer mon cadeau : c’est LE vol depuis le sommet.
Vent de Sud. je sens bien que ce n’est pas le préféré de Zeb, mais il est très régulier (le vent) et il (Zeb) a déjà calculé le décollage aux petits oignons.
Et cette fois, je vais pouvoir voir ce qui se passe. Honnêtement, la même chose (« Prêt ? On court ! Yaouououh »). Mais après “waouh !", nous voilà direct au-dessus de la Charpoua, les Drus à droite, les Ecclésiastiques à gauche, ah non à droite, car on a déjà viré pour aller saluer ceux qui vont devoir se taper les rappels puis la neige tôlée, croutée ou soupasse à la descente (sans parler de la Mer de Glace et la petite remontée au Montenvers qui achève bien).
Tour complet du sommet de la Verte en passant par le col de la Verte, le versant Argentière, le Nant-Blanc, retour aux Drus versant Nord cette fois, les Jorasses s'encadrent comme dans un film entre les Drus et l’Aiguille Sans Nom, le Mont-Blanc resplendit, plus loin les Aravis, les Fiz, le Buet… Patience dans l'Azur, comme l'écrivait Paul Valery… Regarde, Maman, regarde, je voooole !!!, chantait Hubert-Félix Thiéfaine. Bien calé dans la sellette, je pourrais m'imaginer les doigts de pied en épouvantail dans un transat, porté par le vent.
Et finalement Chamonix se rapproche, qui semble encore endormie, à l’ombre. Retour à la terre ferme. il est… 7h30. °° 🤭
Juste un grand bonheur (10).
(1)Oui, je sais, Bacri et Jaoui nous ont montré de cruels contre-exemples à cet Air de Famille. Oui, je sais, mes cadeaux à la famille ne tombent pas toujours justes…
(2) Comme d’habitude, diront quelques mauvaises langues à la mémoire sélective… qui ne lisent qu’un de mes CR sur 10. (2a) Quoi, quoi, quoi, 1 CR sur 3 ??
(3) oui je sais il y a des David Zijp ou des Bart-S qui s’en passent très bien. Et alors ? 😤
(4) Genre de mini-racket (cela coûte un bras mais cela pèse rien) pour marcher dans la neige récalcitrante avec les crampons au pied.
(5) Rien à voir avec le pape, c’est juste un tas de caillou posé à l’entrée de la Combe Maudite. La toponymie est sans doute l’œuvre d’un croyant déçu.
(6) Où l’on voit que l’expression « sauter en parapente » est totalement inappropriée : c’est le parapente qui te porte, comme un spi bien gonflé tire le bateau hors de l’eau. Une sensation bien agréable, du coup.
(7) Inutile de s'apesantir sur l’âge du capitaine, surtout quand on est en parapente et qu'on n’est pas capitaine.
(8) Toujours rien à voir avec le pape. tout au plus avec Trois curés en Montagne, excellent bouquin hilarant où la soutane tient lieu de baudrier.
(9) Snow Plak validées dans l'approche le lendemain : dans la neige soupasse non regelée, cela nous a juste évité une gabegie d’énergie ; et dans la neige dure, cela tient très bien ; et pas besoin de marcher en faisant le grand écart…
(10) Merci à Zeb (Bertrand Roche) de m'avoir permis cette aventure. Vous pouvez lui faire confiance les yeux fermés (mais c'est mieux de les ouvrir pour bien profiter) !
* @modos: Si ce CR sort des clous, pas de problème, je supprime les clous ;=)