Départ : Argentière (Grands Montets) (3295 m)
Topo associé : Aiguille Verte, Nant Blanc, variante Tardivel
Sommet associé : Aiguille Verte (4122 m)
Orientation : NW
Dénivelé : 3000 m.
Ski : 5.5
Sortie du dimanche 6 mai 2018
Conditions nivologiques, accès & météo
Nuageuse, iso 3600, vent Est 20. Etat de la route : RAS
Altitude du parking : RAS
Altitude de chaussage (montée) : 3800m
Altitude de déchaussage (descente) : 1200m
Activité avalancheuse observée : Des plaques observées vers 2500m en versant Nord de l'aiguille de pierre Joseph. De notre côté rien à bougé
Skiabilité : 😐 Correcte
Compte rendu
Avec Jé Rumebe, Nicolas Jean
Montée par le Whymper, descente par le Nant Blanc, retour par les Grands Montets via les Oreilles de lapin
Une référence du ski de pente raide.
Boivin, Tardivel, Siffredi, et autres, que de beaux noms dans cette pente incroyable.
Je ne l’avais pas dans ma ligne de mire il y a quelques mois, plus attiré par les Écrins et ses descentes sauvages, qui me tiennent plus à cœur. Mais après que Nicolas Jean m’en ai parlé avec passion, je m’y suis intéressé. J’ai alors pris mes marques, lu les différents récits, et elle est très vite devenue une descente inscrite dans la liste à faire.
Pour ce week-end justement, Jérémy Rumebe, très fort skieur d’origine Ubayenne, qui rêve de cette descente depuis longtemps, nous propose avec Nicolas de s’y lancer. Perdu dans le Diois où le calcaire Vertacomicorien permet de magnifiques envolées d’escalade, la décision de passer de la provence à la face Nord de l’Aiguille Verte n’est pas évident à trancher ! Malgré la route j’accepte volontiers l’invitation !
C’est alors que trois Alpins du Sud se retrouvent sur Chamonix pour y repérer la face, rapidement et avec un soleil qui ébloui légèrement. Mais quel confort malgré tout de pouvoir observer tout çà de la vallée ! C’est comme si nous avions ici la pente centrale du Pelvoux au-dessus de nos têtes. Cela rend plus facile les choses.
Mais justement, cet aléatoire, nous décidons d’y faire face en skiant à vue. Pour l’approche, nous préférons respecter les coutumes locales et ne pas démarrer à pied depuis la vallée (petit clin d’œil !). Nous prenons alors la benne de l’Aiguille du Midi, descendons la vallée Blanche et remontons les 700 mètres pour dormir au refuge du Couvercle. Après un réveil nuageux accrochant les sommets, le regel est inexistant au refuge, le doute s’installe. D’autant plus que la veille la rimaye ne nous à pas paru évidente à franchir.
C’est donc peu rassurés mais optimistes que nous démarrons vers 6h ce samedi 05 mai. Finalement le regel s’avère présent quelques centaines de mètres au-dessus. Et les nuages commencent à filer. Top ! Arrivés au pied la rimaye, c’est encore une bonne surprise, çà passe bien. Elle risque par contre de vite se dégrader.
On remonte tranquillement le couloir Whymper avec les traces de ceux qui se sont levés plus tôt. Les deux cordées n’iront pas au sommet, trop de fatigue pour l’une et trop de neige sur l’arête pour l’autre. Le malheur des uns fait le bonheur des autres, si je puis me permettre, car se retrouver sans traces, seuls, un dimanche de beau temps, au sommet de la Verte, ce n’est pas tous les jours ! On était vraiment ravis d’être perchés là-haut. Première fois pour Nico et moi, le top !
Désormais place à la descente, on a décidé de prendre l’entrée Tardivel-Brosse de 2009. On ski la calotte en poudre, puis on traverse sous la rimaye vers la gauche. Les difficultés commencent réellement ici, avec une traversée de la calotte, pour aller chercher un couloir caché plongeant sur le névé supérieur. En 2009 Pierre et Stéphane avait eu cette traversée en glace. Pour nous la section est en neige mais la glace n’étant surement pas loin, nous assurons le coup en sécurisant le premier skieur afin de reconnaître les conditions. Jé s’engage donc encordé, et le résultat est positif, la glace n’est vraiment pas loin mais les skis portent. On range la corde. Nico et moi passons sur ses traces, nous le rejoignons juste avant la très fine traversée finale sur une vire suspendue, qui permet de rejoindre l’épaule de l’entrée du couloir.
Ce passage est sérieux, très engagé avec un peu de contact rocheux. Aucunes erreurs possibles car 5 centimètres sous les carres c’est 750 mètres de vide. Celui-çi est prenant car on se situe juste au sommet d’une barre rocheuse d’ailleurs bien caractéristique depuis la vallée. Jé monte regarder plus haut mais c’est le seul passage. Il installe alors un bon relais. Étant donné le passage que nous n’avons pas repéré à la montée, très expo et inconfortable, nous décidons Nico et moi de nous faire assurer. On passe alors à ski, mais en sachant que nous sommes sécurisés. Çà change tout ! Nous voulions vérifier que çà se faisait bien, je dirais que c’est délicat, impressionnant. C’est vraiment le dernier mouvement pour aller chercher cette épaule qui est difficile, moins de prises pour les mains, et il faut se rétablir sur un espace réduit d’une quarantaine de centimètres. On était contents d’avoir la corde. S’en est suivi ensuite la descente du petit couloir caché, qui était vraiment en mauvaises conditions en comparant 2009. Neige regelée sans trop de grip, une étroiture peu large, glacée. On est donc resté assurés dans ce passage car sur certaines sections, déjà techniquement c’était du dry-ski pas facile, et puis le bas présenté une neige légèrement glacée en surface où l’accroche était largement remise en question ! L’étroiture étant trop étroite, on s’est d’ailleurs déplacés sur le pan décalé de la rive gauche.
C’est donc à ce moment qu’on a comprit que les conditions froides que l’on visait depuis le début, çà n’allait pas être pour aujourd’hui ! Grosse déception et un nœud décisionnel nous est imposé. La journée d’hier à eu raison de la puissance du soleil couchant. Et puis surtout le névé supérieur est orienté dans sa majorité Ouest, et le couloir quasi Sud.
Jé nous rejoint en rappel et nous prenons la décision d’attendre un minimum de décaillage. On s’en veut de ne pas être remonté dedans, on s’en serait rendu compte et nous aurions attendu tranquillement dans un trou de neige vers le sommet. Et là on se retrouve dans la pente, certes avec un bon becquet pour être longés mais disons qu’à l’ombre, à l’entrée du Nant Blanc, vers les 4000m, sans trop savoir si les nuages qui bourgeonnent au loin ne vont pas atténuer l’ensoleillement et donc le dégel, on aurait pu faire mieux !
Mais on s’adapte, et étant arrivé à 12h à cet emplacement, on sait que l’on va devoir attendre vers 15h. On taille de belles plateformes et on refait le monde. Finalement même si c’est moins confort qu’à la roche Hippolyte avec Nico, çà passe plutôt vite ! A 15h50 on redémarre après avoir vérifié par de vaillants lancés de pierres que la surface était bien revenue.
Les premiers virages sont comme toujours un peu hésitants, puis çà déroule de mieux en mieux. La surface est assez revenue mais le fond est quand même dur, il ne faut pas se relâcher et certaines sections sont moins dégelées. La pente avoisine les 55° sur les 5 premiers mètres après le becquet, puis ensuite c’est plutôt 50°. Ce n’est pas plus raide que nos belles pentes des Écrins mais l’ambiance est ici géniale ! Et puis la qualité de la neige rend l’inclinaison intrinsèque quand même sérieuse.
On traverse vers la vire Tardivel. Nous avions repéré qu’elle était barrée par une langue de glace. On avait émis l’idée que peut-être il y aurait moyen de passer, mais là, la glace ne pouvait en aucun cas nous permettre de skier. Nous n’avions pas le temps ni l’envie de tailler une vire au piolet (d’ailleurs est-ce éthiquement louable quand on veut « libèrer » une pente ? Libérer une pente semble être respectable si on ne change rien aux reliefs de la descente, autrement c’est un peu comme tailler une prise dans un passage d’escalade, on bien rajouter de la neige dans un passage dégarni. Si nous étions passés à la montée, nous aurions taillé juste pour le fun d’y passer quand même à ski, mais cela aurait été à préciser…) donc nous avons déchaussé et traversé à pied. La suite était bien blanche, quoiqu’on voyait quand même les rochers. Nous avons hésité et préféré passer le premier ressaut à pied pour chausser au milieu de la vire. Dans ce genre de passage, on est parfois plus à l’aise à ski que ce que l’on pourrait croire. A priori çà passait donc bien puisque la deuxième partie présente à peu près le même genre de section et c’était skiable. Sans y être passé avant, sans avoir dégarni les becquets salvateurs, c’était plus joueur, nous avons donc préféré procéder ainsi. La section est entre 50 et 55° par endroits.
Ensuite, la pente est moins raide. On trouve le passage de la barre juste avant d’entrer dans le névé inférieur. C’est un « Z » avec une étroiture. Dans ce passage sur une dizaine de mètres la neige est bêton, avec un léger grip. On passe alors en escaliers. S’en suit une traversée vers la droite pour revenir dans l’axe et prendre plaisir à skier le névé inférieur. La pente est entre 45 et 50°. La neige alterne entre de la neige froide bien tassée, neige regelée pas encore bien revenue et neige revenue. Un bel éventail !
On profite à fond de l’ambiance, avec un peu de brouillard et des lumières magnifiques. A trois nous skions un par un et nous profitons d’être là pour prendre des photos et des vidéos. C’est le pied !
Enfin la dernière partie présente en premier lieu un passage plus raide (50-55°) pour venir buter contre deux ressauts mixtes successifs. Le premier correspond au saut d’1m50 que Pierre et Stéphane avait fait. Le deuxième également avec les mêmes protagonistes, avec de la désescalade skis aux pieds, dans les tâches de neige entre les rochers, sur une trentaine de mètres, avant de sortir.
Pour le premier passage, encore une fois nous avons longuement hésité. On y va, on y va pas ? Le passage est glacé sur un peu moins d’un mètre juste avant le saut. Encore sur la base de la sagesse (et/ou de la peur !) nous posons un rappel skis aux pieds. Par curiosité je teste avec du mou. Çà passe sans sauter mais en statique, en venant buter les spatules vers le bas, contre le rocher, en tenant de bonnes prises franches. Et en intervertissant au fur et à mesure on y arrive. Actuellement le plus dur est d’accéder à cette étroiture car il n’y pas de becquet pour se tenir et la section de glace peut être dure à négocier. En tout cas avec une corde en guise de sécurité, çà le fait !
Plus bas les purges commencent à gronder dans le cirque, l’ambiance change et nous sentons qu’il ne faut pas traîner… La chaleur se fait sentir mais le passage n’est pas évident à trouver. On décide d’installer un rappel et finalement, je pars en repérage plus bas et çà passe moyennant un peu de dry-ski. Jé et Nico décide également d’en faire autant. Ils laissent une corde à nœuds très courte pour le premier passage qui effectivement demande de serrer une réglette pas démente.
A 19h, nous nous rejoignons alors sur le glacier très crevassé du Nant Blanc, heureux comme tout, avec la banane ! Mais la journée n'est pas finie ! Il faut maintenant redescendre en vallée !
Peu attiré par rejoindre le Montenvers et subir les échelles ainsi que le long sentier pédestre, nous décidons de remonter le couloir des oreilles de lapins pour rejoindre les Grands Montets. Cela s’est avéré être salvateur car moyennant une courte ascension, nous nous sommes offert une descente d’anthologie sur le domaine des Grands avec seulement 5 minutes de portage pour arriver au parking !! Et une neige très agréable, sans pressions, çà change du dry-ski et des 50° suspendus ! çà ne pouvait pas mieux se terminer… !
Pour résumer, nous avons effectués une très belle boucle sur l’Aiguille Verte, sommet mythique du massif du Mont-Blanc, en descendant un itinéraire référent qui nous tenait à cœur. Le Nant Blanc est donc un tracé sérieux, caractérisé par ses passages clés. En dehors de ces sections clés, l’inclinaison de la pente n’est pas extrême, entre 45 et 50°, et des passages à 55°. Le tout est très prenant, de par l’ambiance de la face, sa grandeur, ses séracs, la glace souvent présente dans l’itinéraire, les barres rocheuses. C’est une descente qui demande clairement des notions d’aisance en alpinisme. Le passage le plus dur semble être la traversée de la mini-vire avant d’accéder au névé supérieur. On pourrait l’appeler « La traversée de la mort » ! Que nous avons modestement réalisée en étant assurés. L’accès par ce passage nous parait cohérent. Si je devais comparer en termes de difficultés pures, je le ferais avec la face nord-ouest de la Roche Hippolyte Pic. A mon avis la petite face nord de l’Ailefroide d’Hervé Dégonon doit être tout aussi comparable dans son l’ensemble.
L’intégrale reste donc à faire, on reviendra peut-être ! Mais dans ce cas, nous prendrons l’option de remonter dedans pour prendre la température (les aléas de cette ascension sont : la rimaye très ouverte, les spindrifts, les séracs du haut qui menacent, la calotte qui peut être fortement chargée de neige). L’aventure fut donc comme toujours source de plaisir, de péripéties haletantes et de partage avec deux collègues au top !
J’espère que ce récit vous aura emporter le temps de la lecture dans les abysses de ce mythe et que votre imagination associé à ces mots auront suffit à vous donner la sensation de l’avoir fait depuis chez vous, sans stress !
Merci au précurseur Boivin de nous avoir ouvert les portes de ce Nant Blanc, et à Pierre Tardivel pour en avoir défriché les subtilités !