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Sorties > Ecrins > Sirac, Face Nord, 5ème dent - Le Roman sur la montagne que Neil aimait tant 

Sirac, Face Nord, 5ème dent - Le Roman sur la montagne que Neil aimait tant  ⭐⭐⭐

Massif : Ecrins
Départ : Chalet du Gioberney (sentier du Ministre) (1571 m)

Topo associé : Sirac, Face Nord, 5ème dent - Le Roman sur la montagne que Neil aimait tant 

Sommet associé : Sirac (3441 m)

Orientation : N

Dénivelé : 1900 m.
Ski : 5.3

Sortie du dimanche 25 mai 2025

PierBa

Conditions nivologiques, accès & météo

Météo/températures :  Chaud et beau. Regel nocturne parfait, voir même un peu trop...

Conditions d'accès/altitude du parking : Route pour le Gioberney ouverte.

Altitude de chaussage/déchaussage : Bon... chaussage au sommet, la flemme de sortir les peaux pour les 200 mètres sous la face, sinon tout à pied en crampons, le regel nocturne ayant fait vraiment bien son boulot et étant raciste des couteaux. Déchaussage vers 1750 aux pieds de la face après m'être perdu dans le labyrinthe de canyons et de vernes du socle.

Conditions pour le ski : Neige parfaite sur les premiers 50 mètres, ensuite du carrellage béton au granité fuyant, les conditions variant selon l'exposition des spines jusqu'au pied de la face. Vallon d'accès commençant à revenir en fin de matinée en rive gauche (ça secoue quand même pas mal)

Conditions nivo et activité avalancheuse : Rien ne bougeait mais je me suis cassé tôt pour ne pas découvrir si l'élévation de l'ISO allait jouer sur la neige en altitude et contre moi

Skiabilité : 😐 Correcte

Compte rendu

Itinéraire suivi :
Horaires : 17h30 couchage forcé, 23h réveil apocalyptique, 00h départ Grenoble, 09h summit au col entre la 5ème dent et l'arête Nord, 16h glace en centre ville


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Grenoble, 24 mai 2025

*Sonnerie de réveil*

J’ouvre les yeux après une « nuit » de relativement courte durée.

23:00

Ouah

J’ai beau être matinal…

Je prends mon portable et je réponds à son message datant du début de soirée

- Tu es déjà couchée ?
- Oui et toi tu viens de te réveiller ?
- Oui mon réveil vient de sonner 
- Tu pars où déjà ?
- Au-dessus du refuge du Chabournéou en Valgaudemar, dans la face nord du Sirac
- Fais attention stp
- Toujours, dors bien, à demain <3


Il est minuit quand je descends dans cette rue bondée de Championnet en bib Gore Tex, skis sur l’épaule et piolets casque sur le sac à dos. 

Et ce qui est génial dans cette ville, c’est que parmi toutes ces personnes alcoolisées profitant d'une belle soirée printanière, personne ne se retourne à part pour te la souhaiter bien fraiche…


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Port au Prince, Haïti, Décembre 2023

Il fait chaud.

Je ne sais pas quel jour il est...

A vrai dire je ne sais même plus depuis combien de jours je suis arrivé…

Une semaine, peut être plus ?

Je n’en sais rien et ce n’est pas grave: la seule chose dont je suis sûr c'est que dans tous les cas je vais rester ici 5 semaines et que ça va être à la fois ultra court et extrêmement long. 

En fait c’est la deuxième fois que je viens là.

La première fois aurait pu me vacciner sur l'envie de revenir, avec cette violence pluri quotidienne sans fin et l'absence quasi complète de repos. 

Les nuits qui se suivent, et où, sans exception, le téléphone portable d’astreinte sonne, t’arrachant des tréfonds d'un sommeil trop court, d'une manière injustement inlassable. 

*Sonnerie random de 3310 sortie tout droit d'un cauchemar des années 90*

Mais quand est ce qu’ils vont arrêter de se tirer dessus putain…

« …hhmmmmmoouuiii kkkessskispassss ? »

Cet accent créole à couper au couteau.

 « Docteur Pier… ? » 

Oui là-bas on t’appelle par ton prénom.

"...nous avons accueilli aux urgences un jeune bandit blessé par balle à trois reprises au thorax et à l'abdomen..."

Lors des premières nuits j’ai tenté naïvement de voir si ces appels valaient un vrai éveil ou si je pouvais juste me reglisser discrètement dans les bras de Morphée pendant que l’interlocuteur continuait sa présentation de patient par téléphone.

"...il a été laparotomisé en urgence pour splénectomie d'hémostase et packing avant d'être transféré en réanimation..."

En réalité les haïtiens ne t’appelleront jamais pour rien.

"...mais il continue à saigner là et nous ne savons plus quoi faire...il a déjà fait un arrêt cardiaque."

Ils sont beaucoup trop fiers pour ça. 

"Vous pouvez venir docteur Pier?"

Demander de l’aide à un étranger, « français » de surcroit (mamma mia, francese io, di sicuro non lo sono!), est pour bon nombre d’entre eux signe d'échec.

Ils « nous » ont chassé de cette île perdue dans la mer des Caraïbes et gagné leur liberté.

« Nous » sommes revenus par la petite porte et avec « notre » savoir-faire en diplomatie, « nous » avons corrompu et pourri jusqu’à la moelle leur jeune pays qu'ils pensaient finalement libre du joug français.

Ils ne s’en sont jamais relevés.

De la corruption est née la misère, de la misère la faim, de la faim la violence, de la violence la corruption…

De ce cercle infernal le pays n’en est jamais sorti.

Kidnappings, vols, pillages 

Guerres de gangs orchestrées par des politiciens .

Elections manipulées par des criminels.

Des violences où l’on ne se rappelle même plus pourquoi on se tue les uns les autres tellement cela dure depuis des années.

Les institutions, pour ce qu’il en reste, ne contrôlent plus grand chose, pas dans la capitale en tout cas

« On dirait un pays en guerre quand t'en parles », oui mais au moins la guerre finie toujours par se terminer, mais pas là.

Si leur pays n’en est plus un, c’est à cause de « nous ».

Ils le savent très bien.

Nous autres "français", on ne va pas se mentir, on s’en branle, on les a oubliés depuis belles lurettes.

Quand on m’a dit:

« Pour ta première mission tu pars à Port au Prince, c’est ok pour toi ? »

Et que j’ai répondu:

« Ouais cool !»

Il n’aurait pas eu besoin d’être psychologue pour remarquer la dose de jugement que la coordinatrice de mission a volontairement laissé apparaître sur son visage face à mon enthousiasme un peu naïf.


Je me rends compte que j'ai perdu le fil de mes pensées.

J’essaie de me rappeler d’où il partait à la base avant que ce flot de souvenirs inonde mon esprit embrumé.

Avachit sur une chaise pliante, je fixe l’écran de mon Pc portable ouvert sur la paillasse du poste de soin de la réanimation.

Il fait chaud et moite dans ce hôpital de fortune construit avec des containers.

Je ne fais rien et pourtant je transpire à grosses gouttes dans mon pyjama de bloc...

Ah oui, je terminais le cours pour les infirmières.

Je fixe l’écran en fronçant les sourcils, incapable de me remémorer où j’en étais.

Mon regard se lève jusqu’à basculer au-dessus de l’écran et à travers la porte vitrée qui me sépare de « l’unité » de « réanimation ».

J’utilise des guillemets car par rapport à nos standards occidentaux, si vous ou l’un de vos proches était victime du même type d’accidents que ces patients (ça va des plaies par arme à feu jusqu’à l’accident de voiture… mais surtout les plaies par arme à feu), vous seriez horripilés et terrorisés à la fois par rapport aux moyens mis à disposition.

Mais ici, cette mission humanitaire pérenne, menée depuis des années par une ONG française bien connue et, dédiée à la traumatologie lourde, est considérée comme une véritable bénédiction par une population qui n’a clairement pas les moyens de gérer des hospitalisations complexes et très coûteuses.

C’est gratuit pour eux.

Pour vous c’est 5 balles par mois si vous faites un don.

Je ne veux pas vous faire culpabiliser (mais un peu quand même), mais c’est presque un devoir collectif de mémoire.

Si tu chantes la Marseillaise devant le foot ou le rugby parce que t’es fier de ce que représente la France alors t’as le droit de te sentir un peu coupable par rapport à ce qu'elle a pu leur faire et de lâcher un peu de maille en conséquence…

...

...

Attend mais de quoi je parle là? J’en étais où déjà … ?

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Il fait nuit noire.

Pas une once de lune.

Je suis le sentier sous couverture du cône de lumière de ma frontale en dehors duquel je suis aveugle.

Heureusement que j’étais venu au Sirac il y a un mois, pour tenter cette même partie de la face nord, me permettant ainsi de visualiser le cheminement jusqu'au sommet qui se cachait là dans le noir.

Dommage que je me fusse pris un but dans la traversée avant même d’arriver sous la dent Est, face aux conditions dantesques de neige et son mètre de fraîche façon milles feuilles, aussi stable que les droits de douanes états uniennes.

J’avance en baskets le pas plus ou moins léger, croulant sous le poids de mon sac remplis de ferraille type pitons, cordes et autres cordellettes pour équiper un éventuel rappel afin de m'échapper de la barre protégeant la 5ème dent.

Le front neigeux étant remonté d’au moins 300 mètres depuis la dernière fois que j'étais passé par là, je remonte à pied jusque sous le Chabournéou pour ensuite suivre le sentier menant vers le refuge de Vallonpierre.

Sans trop de surprises je croise la première langue de neige qui strie la face barrant ainsi le chemin d’été.

Bon, avec la chaleur qu’il fait, il ne devrait pas y avoir trop de regèle et je devrais, moyennant quelques coups de pointes un peu appuyés, m’en sortir sans trop de peine avant de pouvoir commencer à peauter une fois la traversée finie.

Je pose mon pied sur la neige.

Je ne m'enfonce pas.

Mais alors pas du tout.


Je retire mon pied, et je ne vois aucune trace.

Sensation de déception. 

Je tape.

La neige parfaitement regelée reste intacte et me rends un regard moqueur plein de défi face à ma tentative d'agression.

Merde.

Je chausse les chaussures de ski.

Je m’avance en tapant avec les pointes.

Un pas… deux pas…

Je me retrouve au dessus d'un vide noir que ma frontale ne peut percer, en équilibre sur les quelques millimètres de pointe que j’ai réussit à figer dans cette neige étonnamment béton.

Visions de glissade et de mort ridicule.

Je reviens en arrière d’un mètre jusqu'à la terre ferme non pas sans effectuer quelques mouvements dignes d'un équilibriste.

Je me résigne à l'idée de devoir mettre les crampons et je traverse de manière désinvolte cet obstacle devenu subitement si débonnaire.

Une fois à nouveau sur le sentier, j’enlève les crampons et je continue… une nouvelle langue de neige apparait face à moi dans l’obscurité.

Je ressors les crampons

Putain je sens que ça va être plus chiant que prévu…

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Attends j’en étais où moi ?

 J’suis tellement fatigué que je n’arrive plus à maintenir ma concentration

Oui le cours

Je l’ai presque terminé

Oh la flemme, c’est pour la semaine prochaine… ou peut être pour demain… ?

Je sauve le fichier et je ferme mon PowerPoint

Ayant encore quelques minutes avant la visite du matin avec les infirmières et le médecin haïtien du service, j’ouvre mon navigateur internet et je me connecte sur le site recensant les sorties en ski de randonnée dans les Alpes.

Non pas camptocamp.org

L’autre.

La page s’ouvre, et malgré que l’on soit qu’en décembre, des sorties avec des bonnes conditions surgissent devant moi.

Les batards… 

Je navigue de sortie en sortie, laissant défiler les images devant mes yeux cernés

« Docteur Pier ?! »

Oh putain ! 

Je sursaute sur ma chaise 

L’infirmière s’était glissée derrière moi dans le poste de soin sans faire de bruit, pour préparer les médicaments à administrer lors de son prochain tour de soin.

« Je vous ai fait peur docteur Pier ?! » demande t elle rhétoriquement tout en rigolant

« Non ça va (mais quel menteur). Tu vais être prête pour la visite Mirlande ? »

« Oui oui pas de problème… »

« Ok… »

« Docteur Pier… ?

« Oui Mirlande »

« C’est quoi ça ? »

Je suis le regard interloqué de Mirlande vers l’écran de mon Pc et je tombe sur l’un d’entre vous en train de mettre son plus beau virage dans de la neige bien blanche.

Mon cerveau met quelques fractions de secondes avant de comprendre le vrai sens de la question.

« Bah… du ski... sur de la neige ! »

« AAAAHHHHH... d’accord ! »

« … »

« Et donc vous allez sur la neige avec vos surfs là?»

« Oui des skis voilà »

« Pour quoi faire ? »

« Par plaisir !»

« Oulah... d’accord »

« … »

« Et c’est toi ça docteur Pier ? » demande t elle en pointant l'un de vous, au style que clairement je ne pourrais assumer de part la présence de trop de spandex et des skis bien trop étroits.

« Non, mais par contre ça c’est moi… »

Se matérialise sur l’écran en vue plongeante ma personne, effectuant un virage sauté dans un style des plus particuliers qui m’est propre, loin au dessus du vide.

Je m’imagine RFG prenant cette photo et fermant les yeux en même temps, ne voulant me voir quitter à tout jamais le cadre de son appareil photo.

Il est clair et net que, même en n’étant pas expert sur ce qu’il se passe exactement sur cette photo, l’activité que je lui propose de découvrir n’est pas des plus safe, et que, malgré une différence de paradigme socio culturel au bas mot importante entre nos deux pays, dans les Alpes, comme dans les Caraïbes, la gravité t’emmènera toujours vers le bas et, qu’au de-là des 10 mètre, l’important n’est plus la chute, mais bien l’atterrissage.

« … »

« … »

Son visage a un peu mué

« Mais… c’est dangereux là non !? » s’exprime t elle en fixant la photo

« Oui, bah, faut pas tomber… » je lui répond avec un semblant de sourire vaguement enfantin.

"..."

Mirlande tourne son regard et l’intégralité de sa personne vers moi, me faisant directement face. 

Son regard habituellement bienveillant et maternel a changé dans quelque chose de plus froid.

Elle me fixe droit dans les yeux, et je ne trouve pas de la reprobation qui pourrait habituellement apparaître dans le regard des gens avec qui on peut avoir ce genre de joute verbale sur la pratique de la montagne.

Non.

C’est autre chose encore et je n’arrive pas à mettre de mots dessus. 

Je me sens subitement minuscule face a cette petite femme à qui je mets facilement une tête et demie.

« Mais tu risques de mourir là ?! Et ta femme et tes enfants … ? »

« Mirlande tu sais bien que je ne suis pas mar… »

« Et t’es pauvres parents si tu tombes là ?! »

« Oui enfin… »

« Non mais tu fais ça par plaisir là ? » me coupe t elle

« … »

« Pourquoi tu fais ça ? »

Oui non, je vais pas essayer de faire la sortie humour avec « Death or glory Mirlande, death or glory… ».

Alors que mon cerveau patine en essayant de maladroitement constituer une réponse vaguement intelligente, mon regard, lui, commence à fuir le sien, basculant d’un côté et de l’autre, cherchant désespérément quelque chose auquel se raccrocher afin de trouver une excuse pour me sauver de cette situation.

Mais je ne trouve rien.

Même les patients, pour ceux qui sont conscients, détournent leurs regards, me laissant seul, face à ma destinée type branlée

En fait je me rends compte que, face à elle, je suis une sacrée merde et que j’ai pas grand chose à dire en réponse à ses questions.

Ni toi, ni moi, ni l’autre là, tous grands skieurs et amateurs du libre arbitre alpin, gérant nos vies comme nous le voulons, n’avons rien à dire face à cette femme.

Elle, les autres infirmières et, comme toutes les autres personnes se trouvant dans cette pièce (les deux enfants de 7 et 9 ans, la grand mère et les 2 meurtriers membres de gangs, tous ici pour avoir été mutilés par des projectiles) ne penseraient à aucun moment de futilement jouer avec leurs vie par "plaisir" pour aller se balader sur des collines un peu trop escarpées avec le risque principal d’en tomber. 

C’est un concept de gens riches ça. 

Riches de Liberté.

A quel moment pourraient ils comprendre que nous voulons mettre notre vie en danger pour ça ? 

Que nous voulons mener une vie plus extrême que la moyenne ?

En fait, chez eux, la vie est par définition extrême.

Tous les matins, Mirlande, 31 ans, 3 gamins, quitte son quartier à 4h du matin pour venir jusqu’à l’hôpital de notre ONG, qui se trouve à 5km de là, afin de pouvoir espérer y arriver vers 6h.

Ouais elle mets 2 heures pour faire 5 bornes.

En "bus".

Il y aura des barrages, des check points, des fusillades, des émeutes, des embouteillages.

Tous les matins c'est "l'aventure".

Tous les matins elle se demande si elle pourra arriver vivante jusqu’à son lieu de travail.

Toute la matinée elle se demandera si sa famille va bien, si son mari ne s’est pas fait kidnapper pour une rançon qu'elle ne pourra jamais se permettre de payer, si ses filles ne se sont pas prises une balle perdue en rentrant de l'école.

Au décours de la journée, à chaque fois qu’on annoncera une nouvelle entrée en réanimation, elle se demandera si c’est quelqu’un qu’elle connaît.

Elle soignera des victimes innocentes et des bandits sans discernement qui sont la cause de ce cauchemar dénoué de sens.

Elle va le faire sans se poser trop de questions, et elle le fera avec une application sans failles, comme hier, comme demain, comme la semaine d’avant et probablement comme l’année d’après, si rien ne va lui arriver d'ici là... 

Inch allah.

Et le soir elle rentrera en se posant la question angoissante : « est ce que tout le monde rentrera à la maison ce soir, est ce que je vais arriver vivante chez moi ? », sans se poser la question matérialiste de savoir si elle va trouver son habitation toujours debout, vu qu’un grand passe temps des gangs étant de cramer des quartiers entier à des fins de déstabilisation politique.

Et ce cycle infernal quotidien continuera pour elle ad vitam, sans véritables espoir d’amélioration, en dehors d’une éventuelle fuite vers une terre devenue bien aride en termes d’accueil depuis l’élection d’un certain amateur de fond de teint.

Donc oui.

Le concept de jouer avec sa vie.

De possiblement apporter de la souffrance à nos proches de part notre recherche de plaisir.

De gâcher notre chance d’avoir la liberté  de mener une vie sans risques, par pure envie de « frissons », « Because it’s there » quoi, alors qu'elle, elle ne l'a pas.

Elle ne l’accepte pas.

Elle ne veut même pas essayer de le comprendre tellement cela n'a pas de sens pour elle.

Malgré tout je connais un peu Mirlande, et elle ne m’en voudra jamais de venir d’où je viens.

Elle sait que dans 5 semaines je quitterai cet enfer, son enfer, afin de retrouver une vie paisible (oui, on a une vie paisible et simple, point, il n'y a pas de débat), dans un monde foncièrement différent du sien, qu'elle ne peut pas entièrement comprendre.

Mais par contre, pour elle, risquer par libre arbitre notre vie avec cette roulette russe montagnarde, c’est une injustice infinie, et je sais que je lui manque de respect en jouant a ça.

« … »

Médecin responsable de ce service de réanimation, je me retrouve à fixer mes baskets.

« Oé BANCO ! »

Ce ton salvateur savamment impertinent venant du fond de la réanimation, je le connais bien.

C’est celui de la docteure Darline, anesthésiste haïtienne travaillant au bloc opératoire d'urgence, qui a passé la tête à travers la porte d’entrée du service pour me chercher.

« Allez tu vas quand même pas te reposer sur ton derrière alors que t’es là seulement 5 semaines !? Il y a 3 blessés par balles qui viennent d’arriver aux urgences, ils saignent tous, faut qu’on décide qui passe en premier au bloc…»

Je lève la tête vers Mirlande.

Son regard avait déjà repris ces traits maternels et bienveillants que je lui connaissais si bien.

« Allez docteur Pier, va travailler… »

Je me lève sans mot dire en ayant l’impression d’avoir laissé à tout jamais ma dignité d'alpiniste dans ce poste de soin perdu sur cet îlot des mers des Caraïbes…

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*Thump thump*

*Thump* 

*Thump* 

« *Thump* » c’est le bruit typique des piolets et des crampons qui tapent dans de la glace creuse plaquée sur des dalles.

Ce bruit est souvent rattaché à la petite pensée « mais dites donc, on en était où dans la signature de la prévoyance déjà ? ».

Ayant atteint la face nord du Sirac par une petite séquence mixte en sortie de rampe, j’observe la verticalité s’élever au-dessus de ma tête.

J’ai du mal à savoir si cette raideur vaguement oppressante est une vue de l’esprit ou si elle est bien présente. 

Disons que le doute ne fait que persister, et que j'aurais été bien plus serein avec une cotation prédéfinie par un autre amateur de pente verticale qui m'aurait précédé.

Mais là…

Je m’avance un peu à tâtons, cherchant à connecter des spines enneigés entre eux, sans aller taper sur culs de sac constitués par des dalles rocheuses et des ressauts. 

Le jeu semble initialement assez simple, mais je me rends vite compte que malgré ce que j’espérais, la neige a bien plus subit la chaleur que je ne pensais.

Selon les éventuelles expositions, la neige a perdu de sa fraicheur et s'est durcie.

C’est devenu de la glace quoi.

C’est assez chiant en fait.


*Thump*

Ah ok même ici au milieu de la face il y a des placages cachés.

Bon à la descente faudra que j’évite ce passage.

Je traverse et monte à travers une goulotte de quelques mètres et je me rends compte que je vois le bas de la face entre mes jambes.

Ah oui quand même, c’est en effet bien raide…

Dans tous les cas je suis là, quasiment en haut, continuons à monter, il sera toujours temps de redescendre plus tard

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C’est toujours difficile de juger nos propres pérégrinations verticales, et encore plus celles des autres.

Je ne parle pas forcement de pente raide hein.

Je parle juste de la montagne.

La prise de risques pour nous, pour les autres…

Quand je dis les autres je ne parle pas les gens avec qui on va en montagne.

Pas vraiment

Je parle de ceux qui partagent notre vie, potentielles victimes survivantes de l’aléas qui nous arracherait de ce monde.

Bref, « la montagne », j’ai toujours pas compris à quel point elle montre notre égoïsme envers ceux qui nous entourent.

La mort brutale, la fin pour soi.

Et de la même manière un tout autre monde pour ceux qui restent, les laissant là, pantois, comme des belles merdes, leurs vies brisées par le vide béant que vous leurs laissez…

« Oui mais il est mort en aimant ce qu’il faisait… »

Sacrée belle façon de se rassurer et se réconforter quand on survit un montagnard.

Après bon, je pourrais aussi vous rétorquer que ce sont les survivants qui sont égoïstes…

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J’observe depuis le haut du col, entre la 5ème dent et l’arête nord du Sirac, le paysage qui m’entoure.

Je tire sur ma clope sommitale, et prends le temps de profiter de ce moment assez unique que je ne revivrais probablement plus jamais, en haut de cette montagne.

Assis à califourchon sur un rocher pointu, entre la face nord et la face sud, je pense à Rémi, qui n’est pas là, et qui doit être en train de s’occuper de ses deux nains de jardin.

Le type qui m’a armé et formé pour ce genre d’aventures, en solo par ailleurs, n’est même pas là pour cette ascension et cette descente.

"Mec faut absolument qu'on aille faire le Sirac, regarde, ça a l'air incroyable, la voie Tardivel on la voit d'ici..."

"Ouais man..."

Voilà ce qu'on s'était dit en revenant des Aupillous l'année dernière. 

Putain c’est dommage quand même…

Mais en réalité je me dis que pour l’instant, il n’a plus envie d’être égoïste

Ou un truc dans le genre.

Et il a bien raison.

Je visualise les deux machins que j'affectionne tant et je me dis qu’ils valent bien plus que n’importe quelle ballade en montagne

Ou pas ? 


Je regarde ma montre.

Oulah 9h30 !

Je vide mon esprit de toute pensée et je commence à déséscalader ce petit gendarme afin d’aller m’équiper quelques mètres en contre bas.

Il est temps que je rentre à la maison là, j’ai promis qu’on allait manger une glace en centre ville, et je sens bien que la recherche d'itinéraire sur du carrelage au dessus du vide va me prendre un peu de temps.

Je verrouille mes fixations et je lance mon regard dans le vide qui se dérobe sous mes skis.

Besos


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 Ps: j'ai pas osé mettre plus de 5.3 sur une face où le maître (non pas toi Manu mais je t'aime quand même <3) a posé un 5.4, mais disons qu'il est sévère comme 5.3...

Pps: Rémi n'était pas là, il s'occupait de ses deux enfants en leurs lisant des histoires qui font voyager

 
 
 
 

Commentaires

Q
Quentfish, le 26.05.25 22:27

C'est beau ! Hâte de lire le compte rendu ! 

zigual, le 27.05.25 10:05

C'est fantastique ! Même suspendus aux lèvres de ta ligne éditoriale, sans plus attendre tout le monde aime ta sortie ! A moins que ce soit juste le topo... ou bien ton calebard... 😂
Bon ben hâte de ma prochaine lecture

M
Manu Abelé, le 27.05.25 11:08

PierBa t’es une star 🤩

M
MaudC, le 27.05.25 14:28

Trop hâte de lire le CR ! On parlait de ta prose avec Marian l’autre jour, J’suis fan !

B
Bart-S, le 27.05.25 15:17

Bientôt la version payante de skitour pour avoir accès aux récits de PierBa et aux échanges entre Morgan et Léo :D 

Rorchar, le 27.05.25 18:19

Sous réserve de bonne paie je dévoile les MP que je reçois pour prouver que je ne suis que la voix d'un groupuscule silencieux mais rallié à la cause (et fournisseur d'éléments factuels pour compléter mon dossier).

M
marian, le 27.05.25 21:46

🫶🫶🫶😁

B
Bart-S, le 28.05.25 07:31

Ok, je paierai très cher la version payante de skitour pour avoir accès à ça.
C'est fort, c'est beau, c'est juste, c'est du grand art sur les skis et sur le clavier 🤩😍

M
MaudC, le 28.05.25 08:11

Purée… ce matin, 7h, texto : « ça y est, il a fait son CR ! ». Un régal, comme d’hab… merci 🙏 

R
Remigrec, le 28.05.25 09:08

Soit le CR est pas fini, soit c'est l'ellipse temporelle la plus classe de la saison.

P
PierBa, le 28.05.25 14:46

Vous me tuez tous
<3<3<3

Ps: je l’écris d’une traite en automatique, et ensuite je le corrige au fil des relectures une fois publié 

Laurent Couturier, le 28.05.25 16:48

Top CR ! Mes félicitations à Mirlande pour la clairvoyance de son analyse sur la futilité d’aller se risquer en montagne. Mais dans les 2 cas (le sirac ou Haïti), cela nous reconnecte à la vie !

zigual, le 28.05.25 18:12

Rdv au prochain sommet pour poursuivre le fil de tes pensées... Marins et montagnards se ressemblent, mer ou montagne, se sentir si petits face aux éléments de la nature (ou à Mirlande), une addiction ?

C
calvin, le 28.05.25 18:15

Encore une très belle prose et un beau profil de montagnard à suivre sur ce forum (je l avoue je ne connaissais pas). 
Quelqu un devrait publier un recueil de belles courses / histoires / photos issues de ce site… 

T
taramont, le 28.05.25 19:20

Depuis cette lecture, nous méditons. Tous. Même ceux qui zonent dans le 2 sans avancer d’un pouce depuis des lustres. Depuis cette lecture, les lignes de ST se raréfient. Y en a qui pensent que c’est l’avancement de la saison qui veut ça. Je n’y crois pas.

P
PierBa, le 28.05.25 21:17

Vous m’avez perdu à l’histoire de l’ellipse 

R
Remigrec, le 29.05.25 10:28

" L'ellipse (substantif féminin) (du grec ancien ἔλλειψις / élleipsis, « manque, défaut, insuffisance ») est un procédé grammatical qui consiste à omettre un ou plusieurs éléments en principe nécessaires à la compréhension du texte"


En l'occurrence, le récit de la descente, ce qui est pas banal rapport à la première syllabe du présent site internet.

M
Marco, le 29.05.25 12:02

Quelle réalisation, quel récit !
De l'aventure (la vraie), de la philosophie (pas de comptoir), quelle richesse.
Parcourir tout le spectre de la complexité de notre existence et de ce qu'on cherche en allant en montagne, à la simplicité finale : survivre.
Gros niveau, gros mental, grosse expérience du terrain, grosse lucidité.
À la lecture de ce CR, René Char n'aurait pas renié ses mots : "Agir en primitif, prévoir en stratège"
Bravo

P
PierBa, le 29.05.25 14:40

Cœur avec les doigts à vous tous <3

E
Emi, le 06.06.25 21:56

J'avais raté ça : merci de nous offrir tes récits, à chaque fois une injection de vie !

R
Rémo Barbaruli, le 08.06.25 09:58

Comment j’ai raté ce CR depuis 5 jours ? Merci !!! 

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