Sortie du lundi 3 mars 2025
PierBa
Conditions nivologiques, accès & météo
Météo/températures : de beau à légèrement voilé
Conditions d'accès/altitude du parking : classique, les quelques habitants te regardent à travers les portes entre ouvertes, un fusil probablement à la main
Altitude de chaussage/déchaussage : chaussage au sommet (et ouais mec c'est les Marmes en 2025), déchaussage à 1900m
Conditions pour le ski : contre pentes en poudre alourdie en nord et revenues en sud, le milieu est une goulotte atomisée par les coulées mais bien revenue à 14h
Conditions nivo et activité avalancheuse : le gros des chutes de la semaine avait déjà purgé ravageant tout le couloir, restent les contre pente que j'ai envoyé au fond du vallon
Skiabilité : 😐 Correcte
Compte rendu
Itinéraire suivi : couloir central ou principal (le bleu quoi)
Horaires : départ vers 8h30, sommet vers 13h00 (en faisant du sur place agonique la dernière heure), déscente à 14h et des bananes et voiture à 16h en rampant.
J'ouvre les yeux avec cette sensation de repos et de calme. Comme si je venais de me mettre plusieurs cycles de sommeil réparateur.
Je connais très bien cette sensation.
J'attrape mon portable.
06h20.
FFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFuck (oui je suis bilingue il y a quoi?)
Oui cette sensation c'est la fameuse sensation de sommeil réparateur quand t'as raté ton réveil.
Mais quel tocard.
Je débloque le portable. Je tombe direct sur le réveil que j'avais paramétré sur 03h15 mais que je n'ai jamais validé.
Mais bordel.
Mes projets de camping à Arsine viennent de prendre un sacré coup dans l'aile, ou plutôt dans la tête.
La flemme de courir avec un sac blindé d'affaires pour y passer deux jours et d'arriver éclaté en bas de l'itinéraire initialement prévu.
Je m'assieds au bord du lit.
Bon, qu'est ce que je branle?
Je passe en revue plusieurs idées mais aucune n'est vraiment excitante.
Faudrait viser un truc facilement accessible et pourquoi pas en ouest sud ouest.
...
Et pourquoi pas les Marmes?
Cet itinéraire m'avais toujours trainé dans la tête et cette défécation dans la colle pourrait être la bonne occasion de ne pas rater ma journée.
Bon.
Les Marmes... Aiguilles de Marbres (si si il y en a je vous jure), itinéraire désormais connu pour un accès pédestre intégral à priori paumatoire , soit 1800m de portage... plaisir ultime pour les initiés du step master.
Allé yallah ça part, lesssgo.
Je me catapulte en dehors du lit, je mange en speed un reste de pad thai de la veille (ce détail prendra toute son importance pour la suite de cette histoire) et je sors de mon sac à dos la lourde pochette blindée de bouffe, avec réchaud, matelas gonflable et tout le bordel nécessaire pour survivre dans un refuge non gardé remplis d'ingénieurs lyonnais en mal d'aventure.
Le tout un peu à la va vite, mais en essayant d'être efficace.
Une heure après me voilà dans le Valjouffrey, vallée dans laquelle le temps s'est tout bonnement arrêté et ça en fait tout son charme et tout son côté un peu angoissant aussi.
"Ah ouais des gens vivent ici à l'année sans qu'il y ait des actes de cannibalisme ou des liens de consanguinité?"
Je passe les village des Faures et je remarque que les quelques habitants de sortie ressemblent étonnement à mon compère d'aventure habituel...
Le paysage glorieux de ce coin continue à défiler devant mes yeux et j'écoute distraitement Tom York parler d'arbres en plastiques.
J'arrive finalement à destination au Désert.
Je lève la tête et on échange un long regard yeux dans les yeux avec les Marmes, qui sont là, genre... juste là quoi. T'as l'impression que tu fais la Croix de Chamrousse tellement c'est proche (souvent cette impression est mère de beaucoup de souffrances et de frustrations).
"Bonjour monsieur"
En sortant mes affaires de la voiture j'entends une voix parcheminée qui m'apostrophe dans le dos.
"Bonjour madame"
"Vous allez où?" me demande une sympathique grand mère accompagnée d'une enfant en bas age.
"Je vais aller me balader vers les Marmes madame"
Son sourire se transforme en grimace remplie de surprise
"Ah... les Marmes?!... il n'y a pas beaucoup de neige" me rétorque t elle en faisant un signe de la tête vers mes skis posés au sol (comprendre "mais t'es trop con le citadin ou quoi?")
"J'ai bien dit "ballade" madame" en rigolant
Elle hausse les sourcils avec un sourire cachant à peine l'incompréhension sur mes intentions
"Et bah bonne journée monsieur"
"Vous aussi madame"
Je jète un dernier coup d'oeil vers mes peaux de phoque que je laisse sans hésitation dans le coffre et je pars bille en tête, les écouteurs vissés dans les conduits auditifs.
Zack de la Rocha me hurle dans les oreilles qu'on était beaucoup trop cons à l'époque et je me dis qu'on l'est toujours autant.
"C'est juste devant la porte! Faut témoigner!"
La montée vers le col de la Côte Belle est loin d'être monotone, et quand on se retourne pour regarder derrière soi, on est happé par un vue majestueuse, les Souffles et le Clotonnet se colorant de cette lumière encore froide d'un levé de soleil hivernal, en suspension au dessus d'une mer de nuages qui recouvre le fond de la vallée.
Arrivé sur l'épaule sur laquelle on se détache du GR pour basculer vers la combe des Marmes, je me pose pour prendre une photo et je me dis qu'il commence à faire un peu faim et que, comme je l'ai appris au décours de ces quelques dernières années: "si je veux survivre en montagne, je dois manger, avec ou sans appétit".
...
...
Je bug
...
...
La bouffe
...
...
Dans le sac que j'ai sorti et laissé sur la table de la cuisine
...
...
Je reste là, le portable à la main encore pointé vers le paysage, une expression impassible figée sur mon visage laissant probablement transparaître un je-ne-sais-quoi de contrariété.
Bien joué le mongolien.
T'as pas de bouffe
Bon, t'as fait 700m en moins d'une heure, il t'en restent 1100m, en vrai ça va le faire non? Tu vas avaler ça direct, dans 3h t'es là haut tranquille. T'inquiète pas, les dépenses caloriques c'est une vision de l'esprit. T'as jamais eu vraiment besoin de manger pendant des efforts prolongés, c'est l'industrie agro alimentaire du sport qui t'as mis ça dans la tête, t'inquiète. Et en plus t'as mangé trois bouchés de nouilles thai, t'es larges niveau réserves.
T'inquiète frère, t'es large.
Bon bah ok... je pensais que j'avais besoin de manger pour tenir, mais à priori, à m'écouter, j'avais tort, les cours de nutritio à la fac devant être de la basse propagande mal déguisée de l'industrie agro...
Heureux de cette discussion à l'issue positive avec moi même, je continue sur ma lancée pédestre jusqu'à atteindre la base des Marmes.
Je m'équipe des chaussures de ski et crampons et je m'élance dans la traversée suspendue.
Je passe sous le couloir secondaire qui semble être bien protégé du soleil en cette période de l'année, et qui, jusqu'à preuve du contraire, doit être encore bien poudreux.
Et si je prenais cet itinéraire?
Mais non, pour quoi faire? Déjà ça va pas au sommet, et en plus il est plus court de 200 mètres. Tu vas quand même pas aller faire un couloir plus court en poudre alors que t'es venu jusqu'ici non? Pourquoi ferais tu ça?
*Bruit d'estomac*
Oui non t'as raison, de la poudre? Un couloir plus court? Pour quoi faire? Continuons!
Traversée au soleil, neige décaillante, je me prélasse de cette ambiance assez unique des lieux, où gendarmes et dalles striées de marbre (si si je vous jure) forment des méandres labyrinthiques menant vers le sommet.
Arrivé au niveau de couloir principal, les constations font monter en moi des sentiments contradictoires: l'intégralité du couloir principal semble avoir purgé, déversant des tonnes de boulettes sauce du chef dans le vallon en contre bas, mettant à nu une sous couche d'allure glacée aux reliefs bien marqués (clairement pas ouf), ce qui me permettra de:
1) monter de manière efficace jusqu'au sommet (pas mal)
et
2) diminuer les risques de me faire broyer par une avalanche déclenchée spontanément par la montée inexorable de la température (vraiment top comme concept).
Je regarde le couloir encore un peu plus loin que mon copain brianconno marseillais avait pris l'année dernière, et en regardant la photo du topo, je me dis que je pourrais traverser depuis le sommet pour le récupérer si les conditions dans le couloir principal sont aussi catastrophiques qu'elles en ont l'air
Bah ouais normalement tu peux traverser, il y a des petits traits qui passent derrière la ligne de crête sur la photo du topo skitour
T'inquiète
Ca va bien se passer
Je démarre donc l'ascension des derniers 800 mètres non sans me dire que cette sensation désagréable de faim commence à se faire de plus en plus présente.
Après 100m je commence à me rendre compte que la coulée a vraiment tout défoncé et que clairement, si je veux descendre par là, il faudra zigzaguer entre les contre pentes sud qui commencent déjà à revenir, et les contre pentes nord nord ouest qui semblent encore bien chargées
200m vraiment faim
300m tain j'ai pas la pêche... putain oui une pêche... j'ai toujours faim
400m je sens que je commence à ralentir
500m je commence à faire du surplace
Ouais, bah ouais mec, t'as cramé tout le carburant, t'as plus de jus
Je me retrouve pas si loin du sommet dans un toboggan de bobsleigh encore bien glacé où je n'enfonce que les pointes des crampons en guise de maintient.
Chiant
En vrai là je sers à R, mais si on y pense bien, je ne vais pas m'arrêter et descendre par où je suis monté vu le bordel glacé que c'est
Faiblesse généralisée
Bah c'est pas grave
On va serrer les dents et on va monter jusqu'en haut et basculer dans le couloir de droite (de 300 mètres moins haut): c'est un plan imbattable
...
Là je ne vous cache pas que, les 300 derniers mètres, je n'étais pas beau à voir.
La technique utilisée pour me hisser jusqu'au dessus du col fut celle d'un organisme semi vivant mi homme mi larve mi merde, se mobilisant par à coups agoniques, à 4 pattes, se maudissant sur son manque de discernement et son orgueil l'ayant mis dans une situation qu'on l'on pourra définir ici comme cocasse, mais que ma mère aurait plutôt défini d'inconscience débile et suicidaire.
Je continue ma reptation vers le haut
Ah, le voilà enfin
Rampant (oui rampant) jusqu'au dessus du col, je vise une ligne de crête rocheuse, qui j'espère me permettra de voir la traversée salvatrice vers ce que mon copain brianconnais me définira par sms comme étant un "couloir large avec des contre pentes nord où tu vas trouver de la poudre encore fraîche man"
10m...
Envie de crever
5m...
J'en peux plus j'suis cuit
1m...
Sans même daigner d'un regard la dantesque vue qui s'offre à moi sur le Font Turbat je passe la tête par dessus la crête en plongeant le regard vers le bas, espérant voir l'échappatoire salvatrice tant convoitée
...
Mais nique ta...
...
50m de barres entrecoupées de banquettes de neige suspendues fuient sous mes yeux
...
Ils sont où les fucking petits traits de la photo du topo, bordel?
...
Je regard au loin ce qui semble être l'entrée du couloir emprunté par le copain chevalin l'année d'avant
...
Fait chier
...
"Oui non mais ça passe je suis monté au col moi à l'époque" j'sais pas quoi, me raconte par sms mon copain RFG, aussi marseillais que LTA.
...
Mes couilles oui
...
Je me rends compte qu'au col au dessus duquel je me trouve, mon traître d'amis, n'y a jamais mis les pieds.
Le salaud
...
Je continue à chercher mollement du regard un éventuel chemin de traversée descendante, mais bon, on va pas se mentir, la flemme de me lancer sur une traversée alpine qui, malgré son esthétisme certain, nécessiterait une énergie et une attention que j'ai complètement annihilé il y a de cela 400 mètres de dénivelé.
Je regarde en direction du sommet, je regarde l'altimètre
3000m et des bananes
Manque plus qu'une 30aine de mètres de dénivelé
Il pourrait y avoir un open bar "coke et putes" que jamais j'aurais la force d'y aller
Dommage
Tout ça pour ça
...
Je regarde le couloir que je viens de remonter
Je regarde l'heure
Je me dis que tant qu'à faire
A défaut de manger
On va plutôt attendre que la neige décaille
...
Faim et sensation de faiblesse
...
Qu'est ce qui pourrait faire diminuer cette sensation oppressante?
Idée de génie
J'ai toujours sur moi, dans mon petit kit du bon alpiniste skieur, un petit conteniteur tubulaire avec à l'intérieur un morceau de bougie pour réparer à la va vite une plaie à la semelle, un briquet et... et... une clope!
Bah ouais frère, l'école de la vie, tu veux couper la faim tu fumes une gainz, comme Conrad Anker (il a quand même un infarct en pleine paroi himalayenne, c'est peut être sans lien de causalité, mais quand même)
N'ayant pas mieux à faire, je m'allonge dos contre un gendarme face au soleil, une jambe pendouillant dans le vide de la face est, et je me prélasse de cette vue incroyable qui s'offre à moi, tout en tirant des bonnes bouffées de ma petit Camel Filter savamment stockée dans mon sac pour ce genre de situations d'urgence
J'suis un génie
J'ai la tête qui tourne
J'ai toujours aussi faim
Vaut mieux que j'attende avant de me lever sinon je vais basculer dans le vide tellement j'ai les jambes flasques
Je me dis que bon, en fait là c'est plus vraiment de la faim que j'ai, c'est plutôt une absence de source calorique et un début d'autophagocytose
Cette clope n'aura pas servit à grand chose à part me faire passer le temps en attendant que les conditions de neige soient plus clémentes pour mon corps atteint de fragilose
Ce n'est pas grave, je prends mon mal en patience et je me goinfre de ce panorama extatique en écoutant David Gilmour se remémorer des bons moments passés avec son copain Syd Barret dans I wish you where here
La vie est belle, le soleil brille et le ventre est toujours vide
...
14h
Je désescalade d'une dizaine de mètres pour atteindre la langue de glace que j'avais remonté sur les pointes de mes crampons
La pointe du piolet dessine sans difficulté un arc de cercle dans ce qui avait été une heure avant du béton armé
Allé je remonte m'équiper
Ca part fraté
...
A défaut d'avoir de la bonne neige poudreuse, je bascule d'une contre pente à l'autre alternant de la neige fraîche réchauffée se transformant en sluff traître de par sa lourdeur et de la neige glacée revenue, qui malgré ses aspérités, se laisse maîtriser sans trop de difficulté moyennant une retenue dans le lâché de chevaux
C'est fatiguant comme exercice mais qu'est ce que c'est beau cet endroit
Même dément diront certains anciens
...
Arrivant entier en bas du couloir je me dis que j'aurais jamais du monter dedans, mais que finalement, la chance aura, encore une fois, joué en ma faveur
Je me laisse donc glisser le long de la traversée et descend à ski, suivant des langues de neige, dans la combe du Cognet en contre bas, avant de m'arrêter et rechausser mes baskets
...
Fatigué, le regard un peu hagard, et le pas légèrement incertain, je démarre une descente pédestre sur 700 mètres négatifs, rêvant de kebab, Mc Donalds et autre saloperies, ne m'imaginant pas que j'allais me prendre 1 heure 30 d'embouteillages en arrivant sur Grenoble parce que, "le karma"
Mercé la zone pour l'attention portée
The End
Ps: cher lecteur, si en lisant ce texte, tu te dis que "moi, j'ai pas besoin de manger en montagne, de quoi il se plaint", sache que je suis très content pour toi, mais que moi, sur le moment, j'aurais bien mangé la chatte de ses morts à ta m...