Sortie du mercredi 30 avril 2025
Aglarond
Conditions nivologiques, accès & météo
Météo/températures : Beau et chaud
Conditions d'accès/altitude du parking : accès jusqu'au camping de Plan Veni (1565 m) par des chemins détournés
Altitude de chaussage/déchaussage : 1750 m (chalet du Miage - Rifugio Monte Bianco)
Conditions pour le ski : Très bon regel, bon grip sur le glacier de la Lex Blanche, neige bien portante et sécurisante sur l'arête et en-deça, glacier des Glaciers pas encore à point, neige très lourde après les Pyramides Calcaires
Conditions nivo et activité avalancheuse : RAS
Skiabilité : 🙂 Bonne
Compte rendu
Itinéraire suivi : Nuit au refuge d'hiver Elisabetta - montée par le glacier de la Lex Blanche rive gauche jusqu'au col de Tré-la-Tête - Arête suivie jusqu'au dôme des Glaciers - retour par les Pyramides Calcaires
Horaires : départ 4h - col 7h - Lex Blanche 8h45 - Dôme des Glaciers 10h15 - Refuge 11h
En 1924, mon arrière-grand-mère partait avec des grands noms du GHM (Ségogne, Lépiney, Lagarde) pour une collective perturbée par le mauvais temps. Ayant voulu monter vers la nord de Tré-la-Tête et Tête Carrée, le brouillard les trompa et ils se retrouvèrent dans la tourmente au col de Tré-la-Tête. Seule échappatoire : l'Italie via l'immense et crevassé glacier de la Lex Blanche. Après bien des péripéties et plus de 24h de marche sans repos depuis le refuge de Tré-la-Tête jusqu'à la Visaille, ils parvinrent finalement à bon port.
Alors que le centenaire approchait, cette magnifique boucle proposée dans skitour me trottait dans la tête. Las, le printemps 2024 fut arrosé et maussade. Une tentative me mena dans le brouillard le plus complet jusqu'à l'épaule de l'aiguille des Glaciers : cela ne m'empêcha pas, sans vergogne aucune, d'invoquer Mamie dans la sortie pour glaner les fameuses étoiles de skitour et faire rager les copains absents (mais lecteurs assidus).
Rebelote en 2025 : cette fois, le créneau est là, et je pars avec Nicolas Bezard, guide de St-Gervais, pour un superbe voyage de deux jours dans le val Veny.
Ambitieux, nous prenons de quoi dormir au petit et spartiate bivouac d'Estelette, dont pour le coup c'est le centenaire exact. Mais la première difficulté de la course est de pénétrer dans le val Veny, dont la route d'accès est fermé. Nous avons prévu des VTT, mais depuis Entrèves cela fait longuet... Heureusement, un billet de blog de l'an dernier, ressorti fort à propos de mes archives, nous donne l'astuce pour contourner les chaînes cadenassées et pousser jusqu'au camping de Gabban 6 km et 350 m plus haut.
Les VTT étant dans le coffre, nous les enfourchons : las, au bout d'1 km dont 700 m à les pousser dans une neige tendance soupe chaude, nous nous rendons à l'évidence et les laissons au rifugio Monte Bianco, avant de remonter la route plus ou moins enneigée. Ce Val Veny est absolument superbe, sauvage vallon planté de mélèzes surplombés par les gigantesques murailles du versant italien du mont Blanc : Brenva, Brouillard, Fréney... Des traces de (très) gros canidés se font voir, entrecoupés d'ossements régurgités. Nous écarquillons les yeux dans l'espoir d'apercevoir le museau du rusé compère : c'est dans les airs qu'une ombre se déploie soudainement et nous survole à quelques mètres. Envergure immense, jabot jaune : c'est un gypaète ! Voilà qui vaut bien le gros toutou.
La traversée du lac Combal est longue et nous laisse le temps d'examiner le glacier de la Lex Blanche, qui purge dans la chaleur de plus en plus lourde du milieu de journée. La remontée du col d'Estelette, 40° plein sud, ne serait pas raisonnable dans ces conditions et nous nous arrêtons à Elisabetta, et son refuge d'hiver qui serait somme toute très confortable si quelques tuyaux malencontreusement placés devant son entrée ne dégageait une odeur marquée de pisse fraîche.
4 heures n'ont pas sonné au clocher du refuge (sans doute car il n'en a pas) que nous voilà partis vers le glacier de la Lex Blanche, qui nous a paru une option plus directe que les couloirs du topo. Le regel est aussi bon que le grip, même si quelques passages raides méritent les couteux. Nicolas fait des merveilles pour se repérer dans la nuit noire et le petit matin et nous louvoyons au mieux entre séracs et crevasses. Belvédère extraordinaire sur les Alpes, des Ecrins au mont Rose, dans une aube qui s'éternise et prend son temps pour déployer ses palettes de couleurs.
"Nous entrons dans la zone des grandes crevasses décrite par Kurz. Nous louvoyons entres elles et jamais je n’oublierai la beauté de cette région. Je n’ai jamais vu nulle part des gouffres de glace semblables, aux formes bizarres, des arches suspendues, avec d’énormes stalactites, et cette couleur bleue, vraiment céleste. Nos camarades eux-mêmes qui ont pourtant vu plus de glaciers que moi ont été émerveillés. Seulement, le problème se complique : les crevasses se multiplient et se transforment en énormes tranchées infranchissables, nous perdons beaucoup de temps sans avancer."
Pauvres héritiers d'un monde cartographié, lidarisé, numérisé, réchauffé et fondu : 101 ans après, la zone des grandes crevasses est bien plus abordable et nous la traversons sans grande difficulté pour arriver à 7h au col de Tré-la-Tête. C'est le point de départ de cette magnifique arête qui rejoint le dôme des Glaciers en passant par la Lex Blanche, en pendant des Miages en rive droite du glacier de Tré-la-Tête. Nous attaquons l'arête, mais une section de fins gendarmes aériens me laisse désemparé, peu enclin aux acrobaties en chaussures de skis, avec les planches dans le dos. Nicolas se laisse apitoyer et nous contournons l'obstacle par une traversée dans la raide face nord de la Lex Blanche, les traces d'encelyn de l'avant-veille en ligne de mire. La neige enfonce mais est sécurisante ; ce n'est pas le moment de se rappeler que Mamie a perdu 3 de ses 4 enfants dans ces pentes en 1954, ni qu'un oncle a fait une glissade impromptue mais mieux terminée 20 ans plus tard. Cependant ce coquin d'encelyn est monté trop à droite pour que l'on puisse rejoindre ses traces, à qui se fier ma bonne dame. Au prix d'un bon brassage, nous rejoignons l'arête : dura Lex, sed Lex Blanche !
Reste une magnifique arête souvent effilée, parfois cornichée, toujours parfaitement esthétique, pour rejoindre l'épaule nord de la non moins splendide (dans un style plus imposant) aiguille des Glaciers, puis son dôme.
Le retour par le glacier des Glaciers puis par les Pyramides Calcaires se fera dans le bon timing ; le lac Combal se prête parfaitement à une séance de patinage, puis nous récupérons les VTT dans l'espoir d'esbaudir des badauds malheureusement absents : lesdits badauds étant finalement les pompiers de Haute-Corse garés à côté de notre van, que nous avons vu bronzer au soleil sous le refuge Combal !
101 ans après ce long, très long voyage de 24 heures dans le brouillard et la bourrasque, du refuge de Tré-la-Tête à la Visaille, c'est toujours un splendide voyage que nous offrent ce haut val Veny et cette Lex Blanche avec son glacier comme on n'en fait plus beaucoup et sa si belle arête faîtière, absolument seuls au monde.
Comme disait à peu près je ne sais plus qui de l'autre côté de ladite arête, dans le patois local et de l'époque : Veny, vidi, bon ski !