Sortie du lundi 10 avril 2023
goldschmitemilie
Conditions nivologiques, accès & météo
Météo/températures : ça caille au dessus de 3000
Altitude de chaussage/déchaussage : 400m de portage jusqu'à l'ancienne gare tu téléphérique
Conditions pour le ski : bonne trace jusqu'à la chute du sérac, j'ai ouïe dire que la face N était bien skiable, un peu dure en haut et que l'arête des bosses comportait quelques portions gelées également
Activité avalancheuse : RAS
Activité avalancheuse signalée dans la zone ce jour, voir la carte.
Skiabilité : 🙂 Bonne
Compte rendu
J1 : tunnel du Mt Blanc - refuge des Grands Mulets : 1800m d+
Relativement peu de portage au début (400m) puis un peu de montée avec les couteaux avant de trouver la neige molle. Ensuite la trace est bonne et le glacier bien bouché. On ne s'est pas encordé, la jonction passe sans difficulté ( merci à celui qui a tracé ! ) Et puis montée pépouze jusqu'au refuge. Belle journée sous le soleil, on a tous les trois la patate, on a même un peu souffert de la chaleur : on le sent bien ce Mont Blanc.
On apprend au refuge la nouvelle de l'avalanche sur le glacier d'Armancette et le bilan des victimes qui s'alourdit... Non mais qu'est-ce qu'on va foutre dans des endroits pareils ? Si on est tous un peu refroidi, on change de sujet, ce qui est arrivé là bas est aussi horrible qu'exceptionnel : nous ne connaîtrons pas le même sort. Après tout, nous sommes comme tout le monde et gardons la certitude que de toute façon, ce genre de trucs, ça n'arrive qu'aux autres...
J2 : objectif Mont Blanc : 1800m d+
(et seulement 900m de d+ pour moi. Pardon, j'ai spoilé mon échec, mais y a pas que les héros victorieux qui veulent partager leurs expériences)
Bon comme d'hab, je peine à ingurgiter une misérable tartine de confiture ( raaah les petits déj d'altitude à 3h du mat... ), tout en dévisageant avec ahurissement mes comparses qui s'empiffrent (on n'est pas tous logé à la même enseigne). Et puis c'est parti, on monte à petit rythme. Je suis la force tranquille : tant que je monte lentement, je monte longtemps. Partis parmi les derniers, on se fait vite doubler par les quelques cordées restantes. Mais je ne suis pas inquiète, le créneau météo est bon, je suis en forme, mes compagnons aussi (de toute façon ils ont plus de foncier que moi ). L'aube se lève, c'est aussi magnifique que glaçant, il est temps de se couvrir, ce sont les heures les plus froides de la journée.
Nous venons de passer le petit plateau et montons en direction du grand. Alors que je cherche un endroit pas trop craignos pour m'arrêter et rajouter une couche, la montagne gronde et craque. Ce n'est pas une avalanche, ni la foudre, c'est la montagne qui nous tombe sur la tête. Au dessus de nous sur la droite, un sérac de la taille d'un immeuble se détache du glacier suspendu, puis en emporte un autre avec lui. Dès lors que nous avons entendu le bruit, mon père, mon copain et moi avons commencé à sprinter pour nous éloigner de la zone exposée. Nous ne savions pas si nous étions encore dans l'axe du sérac. Puis nous avons continué à courir pour échapper à l'aérosol.
Ma logique mélodramatique me poussait à croire que le choc ferait partir une plaque au dessus de notre tête et qu'on finirait asphyxié sous la neige, à défaut d'être broyés par la glace. Mais la pente tient, le manteau est bien stable ! Nous nous en sortons indemnes, ça s'est joué à moins de trois minutes, mais tout va bien. Heureusement, il n'y avait personne sur le petit plateau (complètement ensevelis sous des mètres cubes de glace ) au moment de la chute. 20 minutes plus tôt et c'était une quinzaine de skieurs qui passaient au mixeur.
Je suis frigorifiée. Nous montons jusqu'au grand plateau où nous sommes légèrement moins exposés aux séracs. Je les imagine tous me tomber sur la gueule. Je mets toutes les couches que je possède, superpose les gants et les capuches, mais rien n'y fait, mon corps ne se réchauffe plus. Je pourrais me faire violence pour monter à Vallot, mais je n'en ai pas la moindre envie. Je veux quitter cet Enfer de glace. Un type du PG est venu nous demander des infos sur l'accident, il propose de rapatrier l'un d'entre nous en hélico. Je suis plutôt partante pour descendre à ski, mais mes camarades d'alpi ont la patate, ils veulent continuer à monter, et moi j'ai pas assez de courage ( et d'inconscience ) pour redescendre seule dans le champ de glace.
Ils monteront au sommet tandis que je passerai la journée en immersion à la DZ du PGHM, à ravaler ma fierté devant cet échec d'autant plus cuisant que je ne suis même pas redescendue par mes propres moyens. En bas, ça ne parle que de la boucherie à la Contamine. L'ambiance est macabre, cela fait deux jours que les gendarmes deterrent, impuissants, les cadavres ( bien qu'un blessé ait pu être sauvé ). De notre côté, nous avons été chanceux, je le reconnais. Ça ne tient vraiment à pas grand chose. Non mais qu'est-ce qu'on va foutre dans des endroits pareils ?
Je finis quand-même par me dire qu'un jour, ça n'arrivera pas qu'aux autres...
Quand à mes compagnons, ils sont arrivés au sommet et ont skié la face Nord. De mon côté, je les ai attendu en faisant preuve d'une véritable maîtrise psychologique pour ne pas me laisser aller aux scénarios catastrophes, lorsque je n'avais plus de nouvelles. La pratique de la montagne : une torture psychologique pour ceux qui sont en haut ET ceux qui restent en bas ! Heureusement que je suis allée skier quelques couloirs (en Ubaye, loin des glaciers) deux jours après, histoire de dédramatiser !
Respect envers les gendarmes du PGHM, ça doit être une sacrée charge, nous leur devons beaucoup !
PS : Il restera de cette aventure, un petit traumatisme et de superbes photos. Merci Alexis Romary le photographe du groupe ( et j'ai aussi publié les photos du sommet et de la descente bien que je n'y étais pas.)