Départ : Saint Hugues de Chartreuse (Brevardière) (950 m)
Sommet associé : Pravouta (Dôme d'Arguille) (1760 m)
Orientation : W
Dénivelé : 1670 m.
Ski : 2.3
Sortie du lundi 16 décembre 2024
Conditions nivologiques, accès & météo
Skiabilité : 😐 Correcte
Compte rendu
J'avais jeté mon dévolu sur le Habert de Pravouta pour y passer cette nuit particulière. Hésitation : il n'y aura sans doute pas assez de neige au départ de St Hugues mais contourner le massif pour s'épargner 1/2h de marche avec un gros sac à dos – et , accessoirement avoir ensuite le droit de mettre une pastille verte – le jeu en vaut-il la chandelle ? Pas pour moi.
A la Pérelle, agréable surprise : le sentier est enneigé (peu mais ça suffit, pour la montée du moins). 100m plus loin, premier obstacle : on est à la limite de la reptation pour passer sous les branches tombées. Un peu plus loin, il faut chevaucher les troncs. Avoir de longues jambes peut servir à autre chose que d'améliorer la silhouette. Un obstacle est fait pour être surmonté ou « sousrampé », pas pour chouiner. J'ai tout mon temps. Dans un silence de fond de vallon obscur, je croise des arbres frêles ployant sous la neige, des épicéas, toute une armée d'épicéas, droits dans leurs bottes, tous semblables, pas une aiguille ne dépasse.
Mais voilà que quelqu'un me dépasse, moi. C'est un non-évènement, je sais. Mais c'est que je reconnais Johnny Depp, celui que j'ai vu pas plus tard que samedi, le regard farouche qu'il convient d'avoir sur la paroi d'un abri-bus pour la pub de « Sauvage » de Dior. Il passe vite, farouche comme il se doit. Tant mieux. La sueur ruisselle. La fragrance doit être proche du sauvage. Le second suit. Respectueuse des athlètes de haut niveau, je sors de la tranchée - qu'on aurait dit tracée par une laie mormone suivie de ses 12 marcassins – pour le laisser passer. Aucun merci ne retentit. Peut-être économise-t-il son précieux souffle pour des choses plus importantes...Mais stop, l'encre ne doit pas tourner au vinaigre. J'ai trop lu Karl Kraus et Ambrose Pierce qui ne s'exprimaient pas comme ceux qui paniquent à l'idée de perdre un seul bulletin de vote.
Le habert est ouvert. Vide pour le moment. Deux messieurs montés en raquettes viennent partager la grande table avec moi, histoire de ne pas avaler autant de brume que du contenu de la bouteille qu'ils débouchent sans attendre. Cette brume m'agace, c'est joli, vaporeux, esthétique. Mais si elle me cache la fameuse Lune du Froid, ça ne va pas le faire.
Quelques gobelets de Côte du Rhône plus tard, je profite d'une vague éclaircie que je veux prometteuse pour monter à Pravouta. La neige est excellente : de la pastille vert foncé assortie aux épicéas, je précise. A l'approche du sommet, j'ai un espoir. Au sommet, je ne l'ai plus. Du moins pour la vue immédiate sur la Dent de Crolles. Mais pour la nuit, je le tiens et ne le lâche plus.
Et le miracle a lieu. Nous sommes en Chartreuse ! Cette nuit de presque équinoxe n'a plus de nuit que le nom. Au diable l'introspection ! En cette nuit magique de presque solstice d'hiver, comment justement ne pas sortir de soi pour se laisser aller à l'émerveillement ? Oui, il fait froid dans le habert, le poêle fonctionne à merveille mais la porte disjointe et les bouches d'aération lui coupent son bienfaiteur effet. Mais dehors, tout scintille, on y voit comme en plein jour. La lune est exactement entre Pravouta et Roc d'Arguille.
Le matin est radieux, toute brume dissipée. J'ai peine à quitter mon sweet home. Filons jusqu'à la route du Col du Coq. Il y a là un chalet fermé où je peux planquer mes affaires inutiles. La descente se fait sans encombres. Le soleil donne déjà et on sent qu'il faudra plus tard raser les lisières pour faire de la pastille verte. Et puis, je remonte pour un Pravouta avec visibilité. Les arbres se déchargent aussi de ce qui leur pèse et la douche qui manquait au habert est maintenant garantie. Descente extra en lisière jusqu'au sentier qui vient du Col du Coq.
Il serait dommage d'en rester là. La neige chauffe en S. Allons donc au N visiter les dessous de Bec Charvet. Là, la neige est effectivement restée parfaite. Et quand je descend vers mon dépôt de bagages, je tombe sur Linaigrette qui rode dans les parages et n'en a jamais assez. Nous remontons ensemble jusqu'à 1600m env. sous Bec Charvet. Encore une bonne descente. Je reprend mes bagages, la route puis le sentier et mes esprits.
220m à descendre à pied, la Pleine Lune du Froid vaut bien ce petit sacrifice dussé-je passer de la rare couleur du citron vert à celle du banal citron jaune