Bonjour.
Vous trouverez ci après un petit retour d’expérience suite à un accident d’avalanche survenu il y a 10 jours.
Je vais tâcher d’être factuel, et d’apporter ma modeste contribution au processus de prise de décision. Si ce récit peut servir à d’autres, ce sera la seule fierté que je tirerai de cette expérience.
Mardi 13 avril.
Grand beau sur l’Alpe, température fraîche pour la saison (-5°C à 1500m), vent du nord sensible.
Il a neigé la veille (environ 15cm à 1650m dans le secteur concerné – face Est du Vercors) et le vent a été présent pendant les précipitations.
Habitant au pied de cette barrière Est, je parcours très régulièrement ses pentes. Je pratique assidûment le ski de randonnée depuis 35 ans.
Fin mars, nous avons réalisé l’itinéraire du M des Sultanes avec un collègue de Prélenfrey, en excellente neige de printemps, avec seulement 5mn de portage.
Ayant bien observé l’évolution de la fonte, je sais que je vais pouvoir faire les Sultanes, mi avril, en poudre, avec seulement 5-10mn de portage à la descente. Cela ne se produit pas tous les ans.
Départ 6h20 du parking supérieur (1310m). Le vent est bien sensible, mais je me dis que dans le couloir, je serai abrité.
Montée skis aux pieds légèrement au nord de l’itinéraire classique, pour passer dans des clairières, passage au niveau de la balise Nivose, et accès au pied du couloir.
Il est 7h30. Lever de soleil magique, les falaises et pentes passent au rose, orange. Je ne suis pas euphorique, mais juste ravi de pouvoir être là, de profiter de ce moment.
La neige est cartonnée : 5 à 10cm de neige dense à grain fin type plaque (enfoncement du doigt facile), sur 10 à 20cm de neige sans cohésion, le tout posé sur de la neige de névé très dure.
Je remonte le cône, à l’abri du vent, avec justes quelques arrivées de neige du haut du couloir par moment. Les accumulations sont présentes par endroits, sans être énormes.
Je peste contre cette trace pénible à faire, avec le ski qui passe à travers la plaque, et s’enfonce dans la neige sans cohésion.
Arrivé au pied de l’étroiture, j’essaye de deviner comment peut être le manteau au dessus de moi. Je réfléchis entre chaque conversion, en me disant que quand même, ce n’est pas « super sain ».
Je poursuis, en me rappelant le nombre de fois où je suis venu ici, et où les doutes s’étaient envolés dès l’étroiture passée. La neige descendue des rochers et pentes latérales s’accumule ici, et 30m plus haut, la situation nivologique devenait plus saine (selon nos (ou mon) jugements),
En haut de l’étroiture, en rive gauche, je me pose deux minutes. Je me dis qu’il me reste deux conversions à faire, et j’aurai passé le plus raide. J’y verrai plus clair.
Au moment où je reprends appui sur mon seul ski aval pour faire la conversion, la plaque se fissure à mon niveau, sur environ 5m de large.
Je suis immédiatement embarqué, et toute la neige posée sur le fond dur prend la direction de la vallée.
L’expression de lessiveuse est bien adaptée si je veux décrire le lieu où je me trouve. Je m’envole sur un gros rocher proéminent dans le cône d’accès, et poursuis mes roulés-boulés sur environ 250 mètres de distance dans la clairière au pied du couloir, et m’arrête peu avant les premiers arbres.
Je réussis à cracher la neige que j’ai inhalée, et retrouve une respiration normale. Je cherche une plaie d’où pourrait sortir beaucoup de sang, une fracture éventuelle.
J’ai mal au bassin et ne peux me servir de ma jambe gauche. Je tremble car je suis trempé et en plein vent.
Par chance, un de mes skis n’a pas déchaussé, et j’ai gardé un bâton. Je prends mon ski en main, et me mets à glisser vers l’aval, 50cm par 50cm. Je me concentre sur ce que j’ai à faire. Je connais le terrain par coeur, sais où aller, où je suis.
Je rejoins la piste inférieure où il n’y a plus de neige. Je réussis à me mettre debout, et à avancer en marche arrière, en prenant appui sur mon bâton et mon ski, en traînant ma jambe gauche.
J’ai mal mais cela reste supportable. Je me concentre sur ma respiration, sur mes tremblements, et ne m’autorise que de rares pauses.
Quand je bute sur la barrière située juste à côté du parking, je me dis que là, je suis tiré d’affaire.
Il m’a fallu 50 minutes pour descendre.
Je monte dans ma voiture, mets le chauffage au maximum, et descends chez moi (10mn) d’où mon fils appelle les secours.
Au sujet des secours : un grand merci renouvelé aux pompiers de Vif, aux personnels de l’EC145, et toutes les personnes que j’ai cotoyées à Michallon. Professionnalisme, Bienveillance et Gentillesse sont les qualificatifs qui les caractérisent le mieux selon moi.
Bilan médical : fracture du bassin, et de trois vertèbres. Plaies superficielles multiples.
Bilan personnel :
- Je suis parti, comment (assez) souvent, seul, sans téléphone. Pas d’Arva non plus cette fois là car j’ai jugé la dernière chute de neige assez faible.
- Je n’ai pas su prendre en compte les signaux « oranges » détectés dans la pente d’accès au couloir, me basant sur ma pseudo-expérience. La météo superbe, le lever de soleil, la beauté des lieux ont sur ce point contribué à ma mauvaise décision.
- Je me suis aussi laissé influencer par ma connaissance parfaite du terrain, de sa configuration hivernale aussi bien qu’estivale, et le fait que je dois parcourir ce secteur plus de 10 fois par saison.
Merci beaucoup pour avoir partagé ce retour d'expérience
C'est clair que le téléphone est un gros élément de sécurité, heureusement que tu as pu descendre malgré tout tout seul sur ce coup.
Question annexe, avais tu prévenu quelqu'un de ton itinéraire?
Bon courage pour ton rétablissement en tout cas
Ma compagne et un collègue de Prélenfrey étaient au courant de ce que je prévoyais de faire.
Mais ni l'une ni l'autre n'avait d'idée précise d'horaires, et n'attendaient aucun appel de ma part pour les informer de mon retour.
C'est bien le problème des avalanches, il y a des signaux d'alerte mais finalement on les minimise parce qu'on y est déjà allé dix fois dans ces conditions et tout s'est bien passé jusqu'au jour ou...
Merci pour le partage d'expérience.
Question: pourquoi ne pas prendre le téléphone ?
Bon rétablissement après cet accident.
Je n'ai pas fait exprès de ne pas prendre le téléphone.
Je suis simplement un peu "en retard" vis à vis des nouvelles technologies, et ne l'emporte avec moi que pour le boulot.
Il est néanmoins fortement probable que je change mes habitudes de ce point de vue....
Merci pour le retour d'expérience et bon rétablissement
Pour peut etre plus de visibilité, ça peut etre pas mal de faire un compte rendu de sortie en copiant/collant ton récit et qu'on mette en sortie à la une.
ça evite que ça passe trop vite dans les bas fonds du forum
Merci pour l'explication. L'oubli est tombé le mauvais jour, la descente avec ces blessures a été un moment certainement très pénible.
merci pour le Retex .
Sortir systématiquement avec le téléphone & l ' ARVA peut etre une bonne idée .
A noter un accident de même dans le même secteur (Pierre Blanche) le 17/04, au bilan traumatique apparemment plus léger mais avec un téléphone dans le groupe. C'était encore bien hivernal cette mi avril y compris aux altitudes modérées du Vercors.
Comme tu sais c'est aussi un peu mon jardin et je n'ai fait qu'une seule fois 1/2 tour aux Sultanes (au niveau de l'étroiture justement), ne sentant pas bien les conditions. Ce jour là, 2 autres gars étaient montés jusqu'à la corniche, sans problème... Ton retour d'expérience est un bon rappel, je rejoins Toz : il mériterait d'être plus visible que sur un post du forum ;-)
@Etienne-H : tu as plus de précisions sur cet accident à Pierre Blanche ?
viervier a dit :je rejoins Toz : il mériterait d'être plus visible que sur un post du forum ;-)
Le CR est en sortie à la une 😉
viervier a dit :@Etienne-H : tu as plus de précisions sur cet accident à Pierre Blanche ?
N'ayant pas été parmi les impliqués je ne crois pas être légitime pour en parler plus que ça sur le forum si eux mêmes ne l'on pas fait (pas lu de retour non plus sur Data) mais dans les grandes lignes : coulée modeste, qui entraine dans quelques barres, blessé mais pas trop, intervention-evacuation/secours.
De maniere générale bien considérer les risques traumatiques parallèlement au risque d'ensevelissement. Sauter ou percuter un obstacle même modeste peut avoir des conséquences énormes.