Départ : Villar d'Arêne (Pont d'Arsine) (1667 m)
Topo associé : Roche Hyppolyte Pic, Les murmures des Guenons
Sommet associé : Roche Hyppolyte Pic (3586 m)
Orientation : NW
Dénivelé : 1800 m.
Ski : 5.4
Sortie du mardi 24 avril 2018
Conditions nivologiques, accès & météo
Grand beau !Etat de la route : RAS
Altitude du parking : 1700
Altitude de chaussage (montée) : 1750
Altitude de déchaussage (descente) :1750
Activité avalancheuse observée : RAS, de nombreuses anciennes coulées, rien d'observé ce jour
Activité avalancheuse signalée dans la zone ce jour, voir la carte.
Skiabilité : 🙂 Bonne
Compte rendu
A lire en période pluvio-orageuse (à priori dimanche…)
Dans l'ordre chronologique pour les photos :
Jour 1 : c'est celle-ci !
Jour 2 :Face nord de la Pointe Cézanne !
Jour 3 : Face Sud de la Pointe Nérot !
Le changement vient avec l’expérience, l’expérience enrichi l’âme.
Un changement pas des moindres puisque ces trois belles journées de ski perché dans les Écrins, je les ai partagées avec un collègue. Une première en pente raide de ce genre !
Tout est différent, le réveil est moins désagréable, l’approche moins prenante et la descente partagée apaise la tension morale. On se réparti ainsi la pression de la course, entre nos quatre épaules. L’humain est fait ainsi, il va plus vite seul, et plus loin à plusieurs !
Au départ je n’imaginais pas avoir une aventure aussi riche de sens et de partage. La pente raide me tiraille l’esprit, quelle est sa place à côté de l’alpinisme technique, l’escalade sportive, le ski de randonnée plus cool. La question se pose lorsque plusieurs passions se chevauchent, avec comme point commun cette montagne, enivrante, fatale mais si intrigante.
« L’alpiniste est un homme qui conduit son corps là où, un jour, ses yeux ont regardé » disait Rébuffat, le ski en est la parfaite illustration, et la pente raide en est la partie ludique. On pose son regard sur tout ce qui peut se skier, un simple filet de neige suffisant à nous procurer d’étranges sensations, sur le fil entre le vide et la pente qui accroche. Un sport stupide au fond du fond, mais il ne s’explique pas tellement, il se ressent ! Et puis d’un point de vue plus pragmatique, ce sera toujours plus rapide qu’à pied !
Lorsque Nico arrive, nous déterminons nos objectifs. Nous souhaitons skier des pentes raides certes, mais esthétiques et les Écrins en regorge ! Alors je lui montre en premier la face nord-ouest d’Hyppolite Pic, dans le vallon de la Plate des Agneaux. Il est partant, c’est superbe car c’est une face que j’affectionne beaucoup tant je l’ai regardé en montant à la Grande Ruine. Et puis l’expérience de 2016 m’a fait rendre compte du potentiel de la descendre à ski. C’est en effet une face plus skiante que ce qu’elle peut laisser paraître. C’est comme souvent en ski de pente raide, en aval c’est un monde minéral qui nous surplombe, et à l’inverse, lorsque nous atteignons le point culminant, on y voit un univers de blanc aiguisant l’appel du virage sauté.
Alors nous laissons nos corps se diriger lentement vers cette muraille bien lointaine, çà change des approches Ubayennes pour Nico ! Je suis heureux de faire découvrir cette partie du massif à ce jeune de Barcelonnette, plein de talent et d’envie.
Lorsque nous voyons la face, une question nous taraude, çà a séché non ? En observant de loin la neige, on distingue que çà à chauffer fort durant toutes ces belles journées d’été. On en vient vite à se dire que s’être levé à 4h30 n’aura servi à rien d’autre que de s’offrir un long moment d’attente en montagne. Il va falloir patienter très tard pour que çà revienne. On espérait de la neige plus sèche. Alors on s’adapte.
La montée est l’occasion de perdre du temps, alors si d’habitude c’est plutôt rythme régulier, nous optons pour une ascension saccadée, on profite. On cogite beaucoup en voyant la neige complétement abîmée par le redoux, toute regelée, goulottée par endroit. Çà me rappelle des souvenirs d’il y a deux ans et je ne veux pas remettre le couvert. On doute sérieusement, on en parle tous les deux, ouvertement, et puis on positive en avançant, on se dit que si çà a chauffé, aujourd’hui devrait avoir lieu le même effet.
On doute encore plus lorsque gronde un bruit profond, indescriptible. Impossible de lui définir une distance, impossible de le définir tout court. La montagne nous joue-t-elle des tours ? Les murmures des abysses nous font imaginer le pire, serait-ce alors un des dieux de la pente raide qui nous ordonne le demi-tour ? Saurions-nous dans un périmètre interdit, un jardin secret ? Nous n’aurons pas la réponse mais l’ombre d’Hervé plane désormais au-dessus de nos têtes.
Au fil de l’ascension nous ne cessons d’imaginer un bel itinéraire partant de la Roche d’Alvau. Son tracé est élégant, logique et cette vision résonne chez tous les passionnés d’exploration lorsque l’on remonte ce vallon, en direction du refuge. Le soleil matinal déploie alors toute son énergie pour éclairer de milles feux la facette terminale de cette muraille d’Alvau.
Et le drame se produit lorsque nos yeux virent des courbures sur la neige, nos esprits d’explorateurs partirent en fumée dés lors que nos yeux fixèrent ces traces, des godilles perchées là-haut, qui en les suivant débouche sur le grand glacier en rayon de courbure agrandi ! Encore ce bon vieux Hervé qui seul s’octroi de beau moment de ski. Nous aurons la confirmation par « radio Écrins ». Décidément son âme est bien présente. Çà forge le respect.
Les étranges bruits reprennent alors de plus bel. Le craquement est tel que nos peaux frémissent.
Sur le dernier tiers la neige est plus sèche, froide, avec une très fine croûte mais peu conséquente. Enfin nous sortons à la brèche par des passages mixtes qui nous semblent négociables à la descente. L’arrivée là-haut est toujours aussi grandiose. Et une surprise de taille nous attend : du plat, des cailloux secs, pas un vent comme convenu, une chaleur agréable. C’est donc dans ces conditions que nous allons attendre trois bonnes heures. Un peu de sieste, des discussions, de la contemplation. Çà fait du bien.
Nous débutons la descente à 16h20. Les premiers mètres sont ponctués de rochers mais çà passe. Il faut être vigilant. Ensuite la grande pente suspendue est un régal. On traverse vers la gauche pour prendre pied sur une vire rocheuse de trois mètres que l’on traverse skis aux pieds. A ce stade commence des sections plus étroites et variées, l’itinéraire sinue entre les fragilités de la face. Un peu de dérapages, puis on remonte en escaliers sur 20 mètres. Un petit tout droit pour passer une étroiture. La neige qui à la montée nous avait tant fait douter, est à cette heure là parfaite, avec bien sûr des sections inconfortables mais c’est dans l’ensemble très correct. Après avoir skié un dernier couloir, on remonte 40 mètres en escaliers pour enfin skier la dernière partie, large, ponctuée de quelques îlots rocheux mais on peut se lâcher et ressentir cette suspension au-dessus de la raide falaise terminale.
C’est ici que se termine le ski, et c’est ici que commence les rappels. On pourra se demander s’il est utile de skier ce genre de pente, avec à son terme des lignes de corde à installer. Pour une face comme celle-ci, se dressant sur 600 mètres, cela offre tout de même plus de 500 mètres de ski. Et puis on ne peut avoir cette ambiance suspendue jusqu’au bout, sans rappels !
Donc oui pour cette sortie c’est justifiable d’autant plus que nous y avons installé les relais (à bien vérifier avant de s’y pendre !) donc du « job » en moins pour les prochains, car le rocher de l’Oisans est assez avare en becquets et fissures !
Nous avions un brin avec un escaper de Béal, nous avons fait un premier rappel d’un peu plus de cinquante mètres, puis un second d’une quarantaine. Prenez de quoi équiper vos relais si vous y retourner. On ne sait jamais !
Quasi deux heures de descente dans la face, en cordée le temps passe plus vite, les photos et vidéos sont de sortie ! Après çà le long plat de la romanche nous laisse des souvenirs de collante et de pas de un.
Une première journée qui se termine à 19h30 à la voiture, pas banal comme sortie de ski au printemps ! Étant donné que cet itinéraire n’est pas répertorié, nous nous permettons de lui accoler une cotation 5.3+. Côter un itinéraire n’est pas si simple. C’est une responsabilité pour les premiers à le faire étant donné la valeur que cela représente. On peut imaginer des personnes ayant déjà côché une cotation, se mettre « taquet » dans une autre course à la cotation similaire. Lorsque l’on côte on peut se dire que soit on est juste, soit on sous-côte soit un sur-côte. On ne saura pas s’il s’agit d’une volonté de se mettre en avant par le biais d’une cotation sûr-côtée, d’une fausse modestie par le biais d’une cotation sous-côtée, ou d’une parfaite interprétation à la suite d’une cotation juste.
Certes il y a les critères, les définitions. Mais en pente raide la subjectivité est telle qu’il est difficile d’être toujours dans le bon. Et puis que l’on soit l’un des trois profils ou aucuns de ceux-là, il sera toujours vrai qu’une pente comme celle-là en poudreuse tassée sera plus facile, en neige dure avec un grip variable tout du long, une autre affaire… Il est donc avant tout important de situer à peu prés dans quel registre de pente on se situe, et dans un second temps c’est au pratiquant, normalement pas novice pour aller dans cet itinéraire, d’être responsable et de juger en fonction des conditions, de son niveau, de son envie, s’il en est capable ou non.
Le soir même nous sommes bien épuisés d’avoir passé autant de temps là-haut. Les prévisions sont très bonnes pour le lendemain, alors nous choisissons une autre pente, avec un accès différent pour changer un peu ! Ce sera la Pointe Cézanne par la face nord.
J’y avais déjà étais en 2014, en faisant une variante du couloir nord du col de la Pyramide. Je m’étais arrêté sous la corniche dans une neige inconsistante. L’idée de partir du sommet, de plonger dans cette belle face et la connecter avec un système de couloirs cachés rejoignant « Sacré Polo » nous a tout de suite plu !
Une Hermine encore toute vêtue de blanc nous honore de son agilité et de sa curiosité sans limites sur les hauteurs du Col d’Arsine. Le vent de nord-ouest limite un peu cette chaleur exténuante.
Cette fois nous montons d’un bon pas, plus légers aussi car pas de cordes, ni aucuns autre attirails (en toute conscience car je rappelle qu’il y a un glacier ! Il est donc fortement conseillé d’être équipé) nous sommes partis à 8h15 du parking en visant une descente vers les midis. L’observation de la face nous confirme qu’ici aussi les pentes ont bien chauffées. Seules les orientations bien nord, certaines rives de couloirs bien concaves, surtout au-dessus de 3200 mètres, sont encore en neige sèche. Tout le reste à été lustré.
La rimaye du « couloir sans talons » et le côté aléatoire de remonter l’itinéraire inconfortablement nous pousse à choisir l’option du « à vue » en remontant le couloir nord du Col de la Pyramide. Depuis ce col nous grimpons à droite l’arête Est-Nord-Est jusqu’à la pente sommitale pour enfin atteindre le sommet. La vue n’a pas changé, toujours aussi émouvante, et nous pouvons observer en face notre lieu de sieste de la veille.
Nous entamons la descente par quelques virages très faciles qui mettent en jambe. Enfin nous nous approchons doucement de la corniche pour trouver le meilleur passage. Finalement çà ne sera pas d’une difficulté extrême mais la roche proche de la surface ne nous autorise qu’un virage sur cette section, la plus raide. En louvoyant on arrive alors dans cette incroyable face avec une neige au top. On se fait plaisir. Puis on traverse à gauche pour aller chercher le fameux couloir caché. Je l’observe depuis bien des années et j’étais curieux de voir comment nous allions nous y prendre. Et bien c’est une surprise très positive puisqu’il est assez large et ouvert pour y dessiner quelques virages. On traverse la goulotte de « Sacré Polo » (qui n’a jamais été gravie en totalité ?) pour en rejoindre l’itinéraire de descente où Rémi en 2011 avait déséscaladé sur 50m la partie médiane. Nous basculons à nouveau sur un deuxième couloir caché par le biais d’une crête très esthétique. De là il est possible de rejoindre aisément le « Couloir sans Talons ». Mais nous avions déjà défini notre plan alors nous l’appliquons en plongeant dans le couloir en aval de cette face suspendue, par une étroiture cornichée qui se gère bien. La connexion est faite, ça y est !
La suite de l’itinéraire est maintenant logique mais la neige bien plus irrégulière, parfois gelée en surface, nous impose la même rigueur que plus haut. Nous en sortons encore une fois bien heureux.
Le retour sera plus efficace et ce sans aucuns déchaussages, une fois de plus, c’est le pied pour une fin avril !
Cette fois-ci nous sommes moins fracassés que la veille étant donné l’horaire globale divisée par trois. Cela nous autorise une pause bien reposante.
En lisant le bulletin météo à la base plutôt pessimiste, on s’aperçoit que finalement un créneau s’offre à nous pour le lendemain matin. Nos jeux d’enfants risquent de ne pas plaire à ma chère mais son indéfectible compréhension l’amène à nous laisser jouer encore une dernière fois. On va alors pouvoir en toute sérénité réaliser notre ultime bêtise.
On jette notre dévolu sur une descente très sauvage. Depuis Roche Hippolyte Pic nous avions observé au loin ce couloir attirant menant directement au sommet de la Pointe Nérot. Un sommet peu parcouru que j’ai toujours souhaité visiter. Encore plus en empruntant ce vallon perché du glacier des Pichettes, ou du moins ce qu’il en reste !
C’est donc reparti par la même approche que l’avant-veille, avec un horaire matinal, avec en complément une couche de nuages bas très épaisse. Le bulletin nous en avait fait part alors on ne s’emballe pas, mais c’est fou l’anxiogénéité que cela apporte ! Et puis bon, çà n’a tout simplement pas regelé, il faut bien le dire ! On doute à nouveau sérieusement.
Il faut aussi trouver l’attaque du couloir dans cet univers de brume Écossaise ! Heureusement l’approche et le couloir sont en neige tassée ayant reçue de sérieuses avalanches en début d’épisode chaud. Et autre surprise tant attendue, c’est en sortant du couloir, soit 2900 mètres, que nous pouvons enfin respirer de l’air bien pur et sans avoir de pousse de champignons dans nos pieds. On ne regrette pas d’en être sorti, d’autant plus qu’ici le regel est bêton !
On remet les skis, en laissant sur notre droite l’itinéraire du couloir Gravelotte que l’on vient de remonter qui se prolonge jusqu’à la pointe homonyme. Le spectacle sur les grandes faces de cette partie du massif des Écrins, est éblouissant. Nous sommes seuls au monde, dans ce vallon des Pichettes tout là-haut, avec cette mer de nuages épaisse et ces sommets magnifiquement blanchis. On profite.
Nous pouvons alors observer ce couloir Sud-Sud-Ouest, dont la première est signée par le célèbre Jacques Boell, qui côta la course F (facile). Mais c’est sans compter le recul glaciaire qui laisse désormais apparaître une falaise haute de plus de 60 mètres. Pour la contourner nous empruntons une écharpe à l’ouest, peu soutenue. Après une traversée horizontale on s’aligne face au couloir, d’une hauteur de 240 mètres, à l’inclinaison moyenne de 45°. Le milieu est fort goulotté mais les rives sont skiables.
Nous sommes cette fois-ci pile à l’heure. Le ressaut sommital nous oblige à grimper sur quelques mètres et enfin nous savourons la cime depuis laquelle la vue est encore une fois à la hauteur.
Nous chaussons délicatement nos skis en pensant à Mich et à Ulysse, tous deux ayant skié la Nérot seuls, l’un sur les pentes Est, l’autre sur le fil et le versant nord-ouest. Petite pensée pour Ulysse qui nous a quitté il y a deux ans.
En l’honneur de ce sommet emblématique nous exécutons deux virages sur une petite écharpe avant de déséscalader le passage rocheux. Puis le couloir nous offre de belles sensations dans un cadre halluçinament grandiose. Pourvu de tour granitique effilées, le tout en contre plongée sur les emprenables sommets des Agneaux, la Barre, la Grande Ruine !
Le vallon des Pichettes est un régal de moquette puis nous empruntons le grand toboggan Gravelotte en neige bien revenue avant de se farcir à nouveau le long plat de la Romanche sur ce sable qui colle, mais qui colle ! Dans cet itinéraire il est difficile d’avoir les conditions parfaites de partout car le couloir est majoritairement orienté Sud-Sud-Ouest avec une traversée à tendance Est sur la fin, et le couloir Gravelotte, plus bas. Il faut donc être assez pointilleux sur les horaires...
Alors voilà, nous avons passés trois très belles journées dans ces montagnes sauvages, raides et indomptables, en inventant nos propres objectifs malgré les skieurs déjà passés, sûrement, dans ces beaux endroits.