Départ : Villar d'Arêne (Pont d'Arsine) (1667 m)
Topo associé : Les Trois Hommes, Couloir Nord
Sommet associé : Les Trois Hommes (2933 m)
Orientation : N
Dénivelé : 1350 m.
Ski : 5.1
Sortie du samedi 14 mars 2020
Conditions nivologiques, accès & météo
Clémente, épisodes de brise légère W. Jours précédents : iso 0° à 2000-2300m et pluie jusqu'à 2000m environ.
Etat de la route : très correct
Altitude du parking : 1670m
Montée
• 1670-2500 m : Regelée dure jusqu'à 2500m, sauf dans la combe sous la Passe du Midi : prend le soleil dès 7h (attention pont de neige en décomposition au-dessus du torrent vers 1900m).
• 2500-3020 m : poudre sur fond dur (5 à 40cm en montant), poudreuse ou dense selon les zones.
Descente
• 3020 -2950 m : 10 cm poudre sur fond dur, faut pas se la coller.
• 2950 - 2500 m : poudre, pas de gros sluff, le fond dur ne se sent pas, bref : gavade *****
• 2500 (Gros Âne) - 2200 m (Passe du Midi) : moquette à poil très ras***
• 2200 - 1670 m : ski combat dans les boules*, la croûte* ou la soupe (finalement, c'est le moins pire**)
J'ai bon, là, sur les étoiles ? Mais comment je fais maintenant pour l'étoilage global ? Voyons, voyons [5*0,5 + 3*0,4 + 1*0,5] / 1,4 = pas mal
Altitude de chaussage (montée) : 1670m
Altitude de déchaussage (descente) : 1670m
Activité avalancheuse observée : RAS mais :
• grosses coulées des jours précédents dans la combe 1800 - 2100. Cela pourrait continuer, aller au fond…
• le vent d'W a beaucoup soufflé (voir les corniches à l'adret, en face), donc mefiat même si tout s'est révélé bien stable dans ce couloir.
Skiabilité : 😐 Correcte
Compte rendu
J’avais le cœur à plaisanter en lisant les journaux :
« COVID-19: ce n’est pas la crise pour tout le monde. Le cours des actions Skitour a bondi de +350% après l’annonce de fermeture des stations de ski. »
« Drame du COVID-19. Les activités sportives individuelles en pleine nature étant les seules autorisées, il était parti en ski de randonnée. Les loups l’ont dévoré sans que les secours puissent intervenir. »
Mais, non, depuis vendredi j’ai le cœur lourd d’une dernière Cambonnerie.
Il avait le casque de travers, mais pas toujours…
Il avait les lunettes en ovale, mais pas toujours…
Il avait la plume acide, mais le regard bienveillant…
Il ouvrait sa gueule, mais l’esprit lucide…
Il a planté des milliards de goujons, mais autant de pitons…
Il a équipé des kms de longueurs en pensant toujours aux répétiteurs
Il ouvrait en équipe (Boivin, Francou, Fiaschi, Ghesquier, Sylvain…), mais pas toujours…
Il a ouvert de purs chefs d’œuvre (Aurore Nucléaire, Rank Xerox, Ecume des Jours, La Vie devant soi, L’Epinard Hallucinogène, Dibona, et j’en passe —impossible de tout faire!), et quelques bouses (et alors ?)…
Il grimpait « pour la gloire », sans penser à la gloire…
Il était vraiment plein d'humour,
Il avait réchappé à la mort plusieurs fois,
mais pas cette fois…
Adios Trepident JMC ! Ne te moque plus de L’Epée de Damoclès ;-), «quand on meurt, c'est pour la vie…» [JMC]
Je me console en me disant qu’il est mort en se livrant à sa passion. C’est maigre, je sais.
Tous les morts sont ivres de pluie vieille et sale
au cimetière étrange de Lofoten
Mais grâce au maigre vent à la voix d’enfant
le sommeil est doux aux morts de Lofoten.*
Je m’inquiète aussi qu'il soit mort si « stupidement » : moi qui n'est pas le tiers de son expérience, combien de fois ai-je évité le pire encore plus « stupidement » sans m’en rendre compte, juste parce que la montagne n’avait pas sonné l’heure de l’effondrement rocheux ou neigeux, en tout cas définitivement foireux…?
Alors, je suis sorti en solitaire (direction ce couloir N des Trois-Hommes sous lequel je suis passé des milliers de fois sans jamais le voir : merci Skitour).
De là où j’étais, je pouvais relire toutes ces lignes écrites par JMC et ses amis au fil des ans : Tour Termier, Roc Termier, Tête Colombe, Aiguillette du Lauzet…, j’ai tout fait (en évitant le Penchant Fatal, quand même) et refait par pur plaisir…
Et puis c’était le geste juste : le Pic des Trois-Hommes en hommage à « ses » Rochers de l’Homme (mais qui va entretenir tout cela, mille millions de mille goujons !!!??) Merci l’ami !
Et maintenant je brasse dans 5cm, 10cm, 30cm de poudre, les skis sont sur le sac depuis un moment et l’oxygène devient plus rare. J’ai le couloir et la vie devant moi (enfin : au-dessus). Je suis loin, très loin, de danser la Polka du Pilier, mais l’effort et l’adrénaline produisent des résultats. Se concentrer sur chaque geste, sentir le paysage s’élargir, le vide se creuser, le bleu du ciel changer…, et parvenir haletant – quel Coup de Bambou – mais content sur la crête où je prends plein les mirettes les faces Nord du glacier de l’Homme : Big Towers are Watching You !
Là-haut près du ciel, je savoure un instant sans vent, au soleil, avec ce paysage grandiose ! Mais il faut ensuite redescendre sur terre, sans imiter l’ancien. Le fond dur n’est pas loin mais la poudre tient. Un enchantement de ski jusqu’au Gros Âne qui me remet dans la vie. A Nous La Belle Vie, donc !
* Vladislas Milosz (Éd. André Silvaire)