Départ : Pont de la Véna (700 m)
Topo associé : Grand Galbert, Couloir de l'Infernet
Sommet associé : Grand Galbert (2561 m)
Orientation : N
Dénivelé : 1860 m.
Ski : 5.3
Sortie du vendredi 29 janvier 2021
Conditions nivologiques, accès & météo
Vent tempétueux, visibilité nulle et non avenueEtat de la route : fermée par arrêté préfectoral
Altitude du parking : 1300
Crue avalancheuse en cours. Aérosol au sommet puis coulée très compacte et humide en descendant
Altitude de chaussage (montée) : 1300
Altitude de déchaussage (descente) : inconnue, perte des skis au cours de la descente
Activité avalancheuse observée : énorme
Skiabilité : 😄 Excellente
Compte rendu
J'en rêvais depuis tellement longtemps. Une énorme masse de neige qui s'écoule à grande vitesse dans un couloir, et moi dessus, tel un funambule entre ma vie et ma mort, shooté à l'adrénaline, réalisant le run de ma carrière.
L'occasion est là, il faut la saisir sans tergiverser, ça ne se représentera pas avant plusieurs années, dixit Alain Duclos. Toutes les conditions sont réunies : risque 5 toutes orientations, je ne serai gêné par personne pour réaliser ce rêve de gosse, une méga crue avalancheuse, je n'aurai qu'à me glisser sur la coulée au moment où elle partira, et peut-être enfin comprendre ce "chevaucher le tigre" auquel Manu nous exhortait avant l'été.
Je repense d'un coup à mes années de surf et toutes ces vagues que j'ai prises au feeling, sans réfléchir. Dans ces moments-là, je me sens fort, très fort, un sentiment rare et exaltant d'invincibilité. Avec un mental comme ça en acier inox, on peut tout à fait se dispenser de préparer sa course. On y va à l'instinct, on la sent dans son être sublimé de surhomme. C'est la peur qui crée le danger et non l'inverse. Les aficionados du 3X3 et autres accros du BERA manquent simplement de mental, ils se consolent en intellectualisant. Ici pas de carto, pas de météo. Quant à la nivo, elle est on ne peut plus claire, juste idéale pour ce genre de projet.
Je porte mon choix sur l'Infernet au Grand Galbert. Mais hors de question de tout foirer en le remontant, le risque de déclencher une purge qui ruinerait la descente est trop important. Je partirai donc depuis Oulles et entrerai par le haut.
4h le réveil sonne, 5h je gare la voiture (80 km en 40 mn, c'est bon signe je suis réveillé), 5h45 à l'entrée du couloir (1100 m en 3/4 d'heure, je suis dans un bon jour). J'éteins le DVA histoire d'économiser les piles, de toute façon j'ai peu de chance d'avoir à chercher quelqu'un aujourd'hui, et perso je n'ai pas l'intention de me faire coffrer.
Je me poste dans le couloir, 30m sous la crête. Il fait nuit noire, je suis dans le nuage, balayé par les spindrifts violents. Après un improbable selfie pour assurer ma position sociale sur les réseaux, j'éteins aussi la frontale qui ne me sers à rien. Et d'un coup je sens le graal qui arrive ! Ça bouge sous mes skis, la pente se dérobe, je me mets face au couloir que j'imagine plus que je ne le vois vraiement, et me laisse entraîner. Quelle excitation !
A l'intersection des deux branches (j'ai pris celle de gauche), timing incroyable, une autre coulée issue de la branche de droite vient se joindre à la mienne, c'est énorme et ça continue d'accélérer.
Arrive la goulotte, je me sens projeté dans le vide le temps d'une éternité, fantastique ! J'atterris complètement en vrac, instantanément recouvert par le flot furieux qui m'engloutit. Je passe en mode essorage, mais ça va, j'ai l'habitude avec les rouleaux d'Hossegor. Il suffit de maîtriser le rythme cardiaque en-dessous de 30 pulsations/mn et on peut tenir un bon moment. C'est un vieux truc que j'ai appris avec Jacques Maillol quand on taquinait la barre des -100m.
Après ce passage en apnée, je refais surface, j'ai perdu mes bâtons et un ski. Je réussis à me remettre debout malgré le brassage énorme, je pose mon pied gauche devant la fixation du ski droit, et me voilà dans ma position favorite de surf en regular. Je me dis que le plus dur est passé, il n'y a plus vraiment d'obstacle. Je m'amuse à faire des figures, je tente un backflip, je me gaufre, retour au cœur de la coulée, re-apnée.
Puis progressivement, je sens que ça ralentit, je suis dessous, et même carrément tout au fond. Ça y est, cette fois ça s'arrête, je ne bouge plus. Quel pied cette descente qui a duré probablement pas loin de deux minutes. Bon, je me dégage un petit espace pour envisager la suite, je sors ma "sidotchka" pour ne pas me geler les fesses. C'est un petit accessoire en mousse que j'ai piqué aux soviétiques, à l'époque où je grimpais avec les frangins Abalakov dans le Pamir kirghize.
J'imagine que je dois avoir pas loin de 5-6m de neige compacte au-dessus de la tête. Il ne s'agit donc pas de faire n'importe quoi, il faut être méthodique. D'abord pisser pour savoir dans quelle direction creuser. C'est un vieux truc que j'ai piqué à Georges Mallory lors de notre tentative à l'Everest en 1924.
Je commence à creuser. Pour être le plus léger et efficace possible, je n'ai pas pris ma pelle. Heureusement, mon ski est cassé devant la fixation et la spatule se révèle être une pelle de premier ordre (faudra que j'en parle à ARVA vu que je suis leur conseiller en sécurité). Au bout de 2-3m de spatulage, je prends une pause, et l'idée me vient d'allumer mon DVA en mode recherche. C'est un vieux truc que j'ai piqué à Albert Schweitzer à l'époque où on cherchait de l'or au Brésil, ça permet de détecter des métaux proches. Je me dis qu'il y a peut-être moyen de récupérer mes bâtons.
Et ô surprise, j'ai 3 signaux DVA à 2m à gauche. Je reprends à creuser vers les signaux et débouche dans une belle cavité où trois skieurs me regardent arriver éberlués.
Salut ! Ils me demandent d'où je viens, je leur explique ma descente. Eux sont là depuis la veille de Noël, ils se sont fait coffrer volontairement pour passer un réveillon peinards sans les beaux-parents, et ont finalement décidé de rester confinés quelques temps, ça leur paraissait moins anxiogène que le climat sanitaire délétère du dehors. Vu qu'il leur reste un pot de foie gras truffé et une bouteille de Montbazillac, je sors à mon tour un génépi maison qui régale tout le monde.
Comme ils n'ont pas encore l'air décidés à ressortir, je reprends à creuser tout seul. Une fois à l'air libre, je réalise que j'étais sous pas loin de 7m de neige, et je me trouve un peu léger de n'avoir pris qu'une seule paire de gants. L'onglée est sévère, mais quelque part, bien fait pour moi et un bon retour d'expérience sur ce point m'aidera à améliorer ma sécurité pour les prochaines sorties. Je laisse mon unique ski cassé au bord de la route et pars en footing direction Bourg d'Oisans. En chaussures de ski, c'est pas le top, mais pas pire non plus, il suffit de légèrement poser le talon sur l'intérieur pour avoir un semblant de déroulé. C'est un vieux truc que j'ai piqué au grand-père de Kilian Jornet quand on se tirait la bourre sur la Pierra Menta dans les années 60.
Au moment où un car de suédoises s'arrête à ma hauteur pour me proposer de covoiturer, je me réveille en sursaut. 8h30 ! Je n'ai pas entendu le réveil, je vais être grave à la bourre au taf, mais quel pied ce run bien au chaud sous la couette.