Départ : Route forestiere du Veyton (620 m)
Topo associé : Col de Morétan, par le vallon du Veyton
Sommet associé : Col de Morétan (2503 m)
Orientation : N
Dénivelé : 2700 m.
Ski : 2.3
Sortie du samedi 28 décembre 2019
Conditions nivologiques, accès & météo
Grand beau, frais.Etat de la route : ça passe en voiture jusque assez haut, mais par respect pour la route privée et l'arrêté préfectoral...
Altitude du parking : 630m
Altitude de chaussage (montée) : 1100m
Altitude de déchaussage (descente) : 1100m
Activité avalancheuse observée : de grosses coulées anciennes.
Lieu | Alt. | Ori. | Heure | Qté. | Type | Com. |
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Chevrette | 1100 | 0/5 | Gelée | |||
Aup Pont | 1750 | 15/100 | Poudre tassée | |||
Moretan | 2300 | 15/? | Poudre tassée |
Skiabilité : 😐 Correcte
Compte rendu
Il est des instants en montagne qui n'appartiennent à personne, seulement au vent glacé, à la neige croûtée, au silence d'altitude. Partir seul pendant trois jours et deux nuits en montagne, loin de tout, au fond d'un vallon isolé, reste une expérience forte. Aucune bravoure là-dedans, aucune voie difficile, aucune vie suspendue à un unique coinceur, aucun doigt gelé ou autre récit héroïque et que j'ai tant lu hier ou aujourd'hui. Non, aucune bravoure, simplement une randonnée en hiver et à skis, avec pour point de chute une cabane tout confort : le refuge du Merlet.
Le premier jour, lé départ au Pont de Veyton (630m) est tardif (11H45) et se passe sous le brouillard, mais ailleurs il fait beau. Skis sur le sac, la route forestière est remontée jusqu'à l'apparition de la neige au Pont de la Chevrette (1100m). Peu de neige mais ça passe bien, dure comme du bois, la descente promettra. La montée (raide) de Tirequeue dans le bois se fera par le chemin d'été, skis sur le sac de nouveau. Parvenu un peu avant le barrage du Carre, les ultimes brumes se dégagent et laissent apparaître un ciel bleu encore laiteux.
Il est temps de rechausser les skis mais après quelques dizaines de mètres, je lève la tête et aperçoit une tête et des oreilles, là, juste devant, sur le chemin, à 5 mètres. Je pense instinctivement à un chamois tellement le lieu en cette période me paraît reculé. Mais non, un chevreuil, un jeune chevreuil en réalité, je l'apprendrai plus tard. Je ne bouge plus et en profite pour prendre quelques photos avant que l'animal ne se dérobe. Mais il reste. Alors j'approche. Doucement. Il reste encore. J'approche encore. Et encore. Et encore. Ça y est, il est là, à 1 mètre, à portée de main. Je la lui tends pour lui dire que je ne lui veux pas de mal, je crois qu'il comprend. Ses yeux qui louchent à l'envers sont drôles et me font penser au Sid de l'Âge de glace, surtout lorsqu'il rumine et que ce geste lui donne des airs de minuscule dromadaire des neiges. Un regard vers le bas et je vois que sa patte arrière gauche présente une grosse anomalie : une blessure cicatrisée est visible.
Plus je m'approchais, moins il bougeait, mais le pouvait-il seulement ? Je l'avais vu se retourner pour se mettre dos à la pente. Et des traces de pas latérales me confirmèrent que oui, il pouvait bouger. Je restai encore quelques minutes avec lui, en espérant ne pas le revoir au même endroit deux jours plus tard lors de la redescente. Je n'ai pas vu "La panthère des neiges" de Sylvain Tesson (mais lu juste avant mon départ), mais ce chevreuil croisé au sortir de la forêt prend dès lors toutes les apparences de nos chimères animales.
Mais il me faut poursuivre, il y a encore un peu de chemin et la luminosité commence à baisser. L'Aup du Pont est dépassé, cette vaste plaine que j'aime imaginer en un Arctique sur lequel je suis absolument seul. En face, la face nord et austère du Grand Moretan tend ses roches sombres, ses lignes de glace comme autant de lignes de cocaïne verticales et scotchées aux parois. Eric Clapton n'est pas loin, mais c'est une toute autre musique que j'ai en tête, le thème principal de Passagers, une création des 7 doigts et vue il y a peu à Chambéry.
Je gardais également en tête le fait qu'il n'y avait pas d'arbre à proximité du refuge, donc pas de bois, donc pas de chauffage pour le (vieux) poêle à bois. Mais il était déjà tard, et les 1400m de dénivelée de cette première journée commençaient à épuiser corps et mental. En continuant de monter, je voyais malgré tout quelques petits bouleaux clairsemés et qui feraient mon affaire si jamais. Encore une traversée, une courte montée, 1935m, la cabane ne devrait plus être bien loin.
Au-dessus, le ciel s'est teinté de rose, en réalité c'est toute la montagne qui se teinte de rose comme elle seule sait le faire. Encore quelques photos, puis trouver le refuge. Quelques infos trouvées sur la toile montraient que la cabane pouvait être complètement ensevelie sous la neige et que même certains avaient dû redescendre de nuit, faute d'avoir trouvé le Graal de pierre, de bois et de métal. Je restais donc vigilant mais la vigilance n'eut qu'à lever les yeux : la cabane était là, juste devant. Certes, bien enfouie par la neige, mais une bonne partie de son toit, de ses murs et de ses fenêtres étaient bel et bien dégagés.
La porte en deux parties fut bien utile (la partie du dessous se trouvant sous la neige), et à peine entrouverte que la partie du haut tombait déjà (deux gonds tenant par l'opération du Saint d'Esprit). Sitôt remise, les lieux sont finalement ***** : pas mal de bois (du petit et des bûches, merci au lutin anonyme qui a permis ça), des couchages avec ses matelas et ses nombreuses couvertures blanches, et même quelques bougies. À défaut d'y rester une vie, deux nuits suffiront.
Le feu est allumé, les mains réchauffées, les pieds séchés, il est temps de scier et couper les quelques grandes et grosses bûches, pour soi et pour ceux qui viendront. Le lendemain, j'irai faire ma part du colibri avec la scie, ayant repéré un groupe de bouleaux à deux cent mètres. Le soir, dîner lyophilisé, tisane, une dernière bûche pour le soir, puis sac de couchage, écriture, lecture, puis dormir (si peu finalement).
Je me suis beaucoup trop étendu au travers de ce texte, simplement dire que le lendemain vit une tentative échouée au Col de Moretan (parti dans la pente de gauche, alors qu'il fallait prendre celle de droite, mais avalanche... + crampons qui ont merdé), un déjeuner au soleil avant que celui-ci ne replonge derrière les parois nocturnes, l'arrivée d'un sympathique groupe de cinq belges venus goûter nos montagnes, une virée de soleil couchant au Col du Merlet et une descente dans le crépuscule, puis le lendemain matin une autre virée au Col de Périoule face au soleil levant, avant la redescente.
Partir seul en montagne, même si l'itinéraire ne comporte pas de difficultés particulières requiert de l'attention en tout : une pente peut-être avalancheuse, là une neige glacée, ici un rocher affleurant, et même la hache du refuge pour couper le bois. Bien entendu, pas (ou très peu) de réseau au cas où. La complète sérénité ne s'offre donc que très rarement : c'est le prix à payer pour une contemplation contemporaine. Alors pourquoi va-t-on en montagne ? "Parce qu'elles sont là" ne suffit plus. "Parce qu'elles sont là" et "que je suis là aussi" convient mieux, peut-être. Mais la raison est ailleurs je crois : en réalité, la montagne nous submerge. Elle déferle sur nous, s'infiltre par tous les pores et nous la sniffons en altitude. La montagne... ou sa beauté ?