Sortie du vendredi 9 mai 2025
chris77
Conditions nivologiques, accès & météo
Météo/températures : météo variable à exécrable, il drache au parking à 7h après une bonne averse à Brides. Tout est dans le brouillard, c'est glauque à souhait. J'avais la même météo à la maison depuis 3 jours et j'avais pas mis le nez dehors, du coup gros questionnements métaphysiques... Premier coup de pied au cul de la journée: sortir de la voiture dans ces conditions :o(
Heureusement il fait plutôt doux malgré l'humidité, départ en teeshirt sous la goretex... Le ciel s'ouvre un peu et il semble neiger plus haut, bon point. Parce que la vue de ma première marmotte, l'air piteux et le poil humide, ça vous requinque pas un homme qui doute! Puis en effet dès les Bramettes un léger grésil prend le relais, au moins je ne risque pas le trempage en virant la goretex qui ne vaut pas mieux qu'un Kway, plus mouillé dedans que dehors!
Conditions d'accès/altitude du parking : RAS, route noire jusqu'aux Fontanettes
Altitude de chaussage/déchaussage : il y a encore moyen de chausser (et surtout déchausser) aux chalets de la Glière, mais pour encore combien de temps?? En tout cas avec les 10/15cm de poudre tombés dans la nuit je monte confort après avoir croisé 2 chamois à cet endroit, que j'interprète comme un cygne (quoi?!?) que le ski va être bon à très bon!
Conditions pour le ski : après un réveil difficile et une extraction de la voiture au forceps, la banane revient doucement dans la montée avec ces décimètres de neige en poudreuse froide qui ne me lâcheront pas. Epargnons les lecteurs des péripéties de la montée pour en venir à la descente: poudreuse de rêve, un vrai holdup de printemps dans les 2/3 de la face, j'ai même droit à des virages d'anthologie où la poudre vous saute au visage (non j'ai pas dit dans le nez!) avec un bruit sorti des meilleurs films nord-américains sur la passion powpow... Tout ça dans une lumière de rêve, le brouillard ayant décidé de faire une pause... Le paradis existe, je l'ai enfin vu!
Bon évidemment s'il y a un paradis il y a un enfer, la descente depuis le refuge n'est pas des plus attrayantes, neige collante et lourde, je plains intérieurement les promeneurs qui brassent pour accéder au refuge !
Conditions nivo et activité avalancheuse : RAS à la montée malgré une angoisse intérieure qui va me poursuivre toute la montée, son intensité variant au gré de mon état de fatigue et des bancs de brume qui m'emprisonnent parfois dans un gris uniforme bien flippant. Des avalanches récentes de boulettes (ou de bout de glace?), recouverts par les 30 à 50cm de poudre tombés récemment sont assez desagéables à traverser, ça ressemble quand même à des purges vu les trajectoires.
Concernant la descente ça n'est pas la même chanson: sluff très importants dans le premier mur, je reste bien dans ma trace de montée au début. Désolé pour les suivants....
Sur le bas je reprends mes traces rive gauche (vers 2800) et la je déclenche coup sur coup 3 avalanches, la première assez prévisible, la 2e volontaire, mais la 3e, à quelques mètres, part sans prévenir et me bouscule, heureusement je suis sur un éperon dans un endroit où c'est moins rapide, parce que ça descend vite et jusqu'au pied des rochers, de part et d'autre de mon refuge. Main sur l'airbag le palpitant à 200... Les quelques minutes de soleil ont suffi à charger le manteau qui degueule comme un tgv sur une ligne droite. Pas fâché d'être en bas ou presque. La remontée au refuge et la descente au parking seront une formalité humide et peu agréable avec le sentiment d'avoir géré au plus juste le timing. 30' plus tard une grosse purge coule depuis la pointe non nommée à 3289 et vient crépir la neige (au niveau du mot Glacier sur la carte IGN). Skiabilité : 🙂 Bonne
Compte rendu
Itinéraire suivi : voir trace gpx (partielle, cf. plus de batterie). Je suis monté à droite (oui ça questionne) pour gagner du temps et tester le manteau neigeux dans une partie raide. J'ai pas été déçu, il fallut brasser dans du 45/50°, avec beaucoup de poudreuse et un bon fond dur remplacé par endroit par du caillou. 1ere épreuve, plus dure au final que le mur final. J'aurais du mettre mes crabes mais bref. Reski et ensuite ligne la plus droite possible jusqu'au mur, j'essaye de finir en peaux mais ça brasse fort et entre le fond très (trop) mou des sluffs accumulés, peu rassurant, et le fond très dur des purges qui ont 'glacé' le support avant le saupoudrage des derniers jours, ça fait beaucoup pour mes nerfs. Je passe aux crabes et termine au niveau du "replat" final Stop vers 3700m, pour pleins de raisons...
Horaires : départ trop tard, je m'en apercois tout de suite au jour déjà levé quand j'arrive aux Fontanettes. La frontale ne servira pas, et il va falloir mettre les watts jusqu'aux difficultés sinon c'est mort.. Heureusement pour moi le soleil ne fera une apparition que très tard, conservant la neige poudreuse dans son état d'origine jusqu'à ma descente...
Bon ce compte-rendu est surtout un exutoire, celui de la peur, collante, sourde et lancinante qui entretient constamment le doute. Météo moyenne: check. Réveil après une nuit difficile: check. Sentiment de partir trop tard: check. Dénivelé et altitude importants: check. Ensuite viendront les imprévus: tout seul dans la face: check. Aucune trace nulle part: check. Manteau neigeux douteux: check (je mets l'airbag à la montée, une première, avec la poignée bien sortie). Et toujours le brouillard qui joue avec mes nerfs, un coup ça se lève (mon coeur s'emballe, je suis amoureux de la montagne, ça va être la journée de ma vie, les copains vont fumer de jalousie...!) et 2 minutes plus tard tout est gris uniforme, pateux et sans relief, bref le jour blanc merdique qu'on a pas du tout envie de vivre: check.
Il existe sans doute des personnes plus affutées, plus expérimentées, plus aventureuses qui vont sourire de cette expérience; malgré tout je ne suis pas un lapereau de 5j en montagne, ce que je raconte reste TRES subjectif, cependant c'est le récit d'une expérience solo où le plus gros obstacle c'est le cerveau...
Car combien comme moi sortent d'habitude en groupe, parfois seuls en suivant les gens devant ou simplement la trace de la veille, évidente et rassurante, déléguant les choix essentiels (voire vitaux) à d'autres? Combien d'entre nous sont à même de prendre la décision de redescendre avant le sommet, sans sourciller, en affirmant qu'il a les bons arguments, les bons paramètres qui l'amènent au bon choix... Sans parler de l'itinéraire...
Bref, une expérience bien gambergante, dont je retiens la fierté modeste d'avoir fait demi-tour 100m avant le sommet et d'être redescendu pile à la bonne heure car:
- plus de gps (batterie de tel ko) donc impossible de revenir sur mes pas en cas de gros brouillard
- plus de batterie donc impossible de continuer à envoyer le sms qui rassure ma compagne (et moi) toutes les heures avec ma position (on est jamais trop prudent)
- un brouillard de plus en plus présent qui empêche les gardiens du refuge de me voir (petit coucou à eux, merci de m'avoir reçu quelques minutes pour discuter des conditions, remplir ma gourde et recharge mon portable)
- le piège de devoir se farcir toute la descente dans le jour blanc
- la cuisse gauche qui crampe dans les dernières marches, puis la droite pour ne pas être en reste… la descente s’annonce amusante, surtout les premiers virages sautés dans une pente pas triste
- le sommet qui ne s'est jamais dégagé jusqu'à là (faut-il aller au sommet coûte que coûte si pas de vue et descente hasardeuse?)
- le risque vital que le ciel se dégage et qu'en quelques minutes tout se mette à purger...
J'ai donc calé mon cerveau en fin de montée sur: dès que l'ouverture est suffisante on descend, ce que je fis... et je ne regrette rien, même pas d'avoir loupé ce sommet sur lequel je reviendrai... J'avais 17 ans la dernière fois, j'en ai 47, je peux bien attendre un peu :o)
Le petit défilé d'animaux durant la descente viendront confirmer cette impression (chamois, bouquetins, marmottes et pour finir gypaete): I'll be back!