Départ : le Plan du Suet (1790 m)
Topo associé : Aiguille de Laisse, Par la combe de Montfroid
Sommets associés : Col de la Croix (2529 m) Aiguille de Laisse (2879 m) Col du Sambuis (2528 m)
Orientation : T
Dénivelé : 2140 m.
Ski : 2.2
Sortie du jeudi 19 mai 2022
Conditions nivologiques, accès & météo
Météo/températures : Beau temps très chaud - très faible regel nocturne - nuages bourgeonnants dans l'après-midi - guère de vent- orage dans la nuit du 18 au 19
Activité avalancheuse : rien de récent
Skiabilité : 😐 Correcte
Compte rendu (par taramont)
Voilà: comme il n'y a plus de saison ma brave dame, débaptisons le «ski de printemps», trop facilement confondu à présent avec le ski d'été, en «ski des fleurs».
Au bout d'une langue de névé de moins en moins pendue, le skieur de fleurs chausse prudemment ses skis dans l'aube incertaine. Non pas que le terrain soit particulièrement scabreux, oh que non, mais il y a tant d'êtres endormis qui risquent de voir leurs jolies têtes tomber d'un coup de carre aiguisée comme un cimeterre, carre prête à en découdre avec des neiges bétonnées alors qu'en fait, elle a de grandes chances de ne remuer que de la soupe. Et cela ne se fait pas de couper des têtes innocentes endormies, et précisément celles prêtent à vous faire fête à votre retour !
Où en étais-je ? Ah oui : le skieur note l'altitude de chaussage pour son futur CR et part dans une aube incertaine. Enfin, ce n'est qu'une façon de parler car les cimes alentours dessinent d'ailleurs – et très exactement, il faut le leur reconnaître – leur ligne d'ébène sur l'horizon du levant.
Est-ce donc là le début d'un énième récit de course, style :
on était en retard à cause des bouchons
traduire : bobonne m'a retenue par tous les moyens inavouables
la montée fut efficace
traduire : on n'est pas des contemplatifs, non mais !
le regel était béton mais je n'ai pas mis les crampons
traduire : neige casse-gueule et j'avais oublié mes crampons ou, autre version, un tel m'a dit qu'il n'en fallait pas pour cette course (sans objet en ce moment)
j'ai coupé les grands virages tracés par les cafistes
traduire : le nez dans le guidon, j'ai tracé droit dans la pente et buté contre le torrent que je n'avais pas vu mais heureusement entendu au dernier moment
au sommet, solitaire, j'ai savouré l'instant dans un silence sépulcral
traduire : au sommet, j'ai hurlé ma satisfaction d'avoir enfin fini d'en baver effarouchant les chocards attablés devant les cafistes qui en étaient déjà au pousse-café
etc, etc......
Ai-je le droit de vous infliger des fables ou des récits aussi factuels que soporifiques ? Non. Aussi, avais-je l'intention d'interviewer quelques fleurs qui ont modestement – et prudemment – baissé la tête à notre passage ou, au contraire, l'ont élevée vers cette chose profonde, de couleur variable, qui leur sert de coupole. Car il faut toujours interviewer ceux qui ont quelque chose à nous apprendre, pas le passant lambda au sujet d'un passage également lambda et qui risque juste de nous enduire d'erreur.
J'ai alors rassemblé tout ce petit monde haut en couleurs ; j'en ai dénombré 22 espèces différentes, (sans compter Linaigrette !) et sans doute zappé autant. Pour gagner du temps, j'ai proposé une interview collective avec une seule et briève question : «que pensez-vous du monde d'en-bas»?
Je ne le saurai jamais. Car là, Soldanelle est sortie du rang humide qui bordait le dernier névé et a pris la parole. «C'est bien beau de venir nous tirer les vers du nez (alors que nous les avons d'ailleurs plutôt sous les pieds). Si les autres veulent se laisser faire, qu'elles le fassent. Mais moi, ici, j'estime que je suis chez moi et c'est moi qui pose les questions». Son allure martiale, à peine adoucie par son joli chapeau effrangé, m'a impressionnée. J'ai réfléchi aussi vite que je peux et, magnanime, elle m'a laissé bien du temps. Puis, j'ai dit : «ok vas-y». Et elle, avec un aplomb incroyable, droite comme un i et du haut de ses quelques centimètres : «Taramont, qui es-tu ? La question qui tue. Me souvenant d'Alphonse Allais qui, lui, s'était parait-il souvenu de Shakespeare, j'ai répondu «Taramont n'a jamais existée, c'est une autre qui se fait passer pour elle et qui écrit ses récits ». Soldanelle, en bonne soldate a fait semblant d'avoir compris la réponse et ne m'a pas fusillée. Je crois qu'elle se souviendra de moi.
Et c'est ainsi que se déroulèrent deux splendides journées de «ski des fleurs» entre lesquelles il faut bien l'avouer, le ciel (pas le mystique mais simplement celui que nous avions sur la tête) nous a sévèrement grondées, on ne sait toujours pas pourquoi, et un peu plus nous finissions en îles flottantes. Mais le matin fut à nouveau rayonnant et l'aube tout à fait certaine nous revit en beaux chemins.
Fin de saison ?
La Saison est Reine.
Et la Reine part quand elle veut.