Sortie du vendredi 18 mars 2022
MiRO
Conditions nivologiques, accès & météo
Météo/températures : Bouché, doux, pas de vent.
Conditions d'accès/altitude du parking : route sèche
Altitude de chaussage/déchaussage : 1070/1070
Conditions pour le ski : Neige lourde très homogène, plutôt agréable à skier en 95 au patin
Activité avalancheuse : Petites purges déclenchées dans les pentes à 30° et +
Skiabilité : 😐 Correcte
Compte rendu
A force de ne pas voir plus loin que le bout de mes spatules, je finis par ne plus rien voir du tout. Ce blanc désespéremment blanc et les quelques silhouettes d'épicéas qui émergent ça et là, ne parviennent bientôt plus à me sortir d'une sorte de torpeur méditative. André Gorz et son "Il n'y a d'autre richesse que la vie" m'accaparent.
De temps à autre, je reconnais un détail, un endroit, qui me confirment que je suis toujours sur le bon chemin. Et je replonge aussitôt dans mes pensées. La Scia passe, le col de la Saulce, je suis quelque part sur les pentes ouest de Malissard.
Taramont a décliné cette virée "plume et spatules" pour cause de révision de son matériel, mais elle a passé commande d'un récit. Je peine à trouver l'amorce dans ce blanc omniprésent. Soudain, l'Ukraine me sauve !
Ma grand-mère maternelle, née à Kiev en 1914, m'avait raconté au cours d'un de ses séjours ici en Chartreuse, une histoire bien curieuse. Lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques d'hiver de Grenoble en 1968, la délégation soviétique avait défilé avec moultes drapeaux rouges arborant le marteau et la faucille, mais également avec un drapeau bleu et jaune sur lequel était écrit "Slava Mykhaïli !".
Selon ma grand-mère, la présence de ce drapeau s'expliquait par la proximité de la Chartreuse. En effet, pendant la période d'indépendance de l'Ukraine qui suivit la révolution bolchevique de 1917, le dirigeant d'origine cosaque zaporogue Mykhaïlo Hroutchosky, passionné de sports d'hiver, fit plusieurs séjours à Grenoble et alentours, pour perfectionner sa technique de ski en vue de participer aux premiers Jeux Olympiques d'hiver de Chamonix en 1924.
S'agissant d'un dirigeant d'une grande nation européenne, les organisateurs l'avaient qualifié d'office, mais il ne put participer à cause d'une fracture à la cheville qu'il se fit une semaine avant le début des épreuves ... à Saint Pierre de Chartreuse ! A cette époque, le ski sportif était balbutiant dans le massif. Quelques locaux s'amusaient le dimanche au col de Porte ou à la Scia. Mykhaïlo Hroutchosky s'était lié en amitié avec ce petit groupe, et il venait régulièrement passer quelques jours à Saint Pierre pour dévaler ce qui est aujourd'hui le domaine skiable. Il avait naturellement besoin de traduction, et c'est mon arrière-grand-mère qui avait obtenu le poste grâce à ses origines cosaques zaporogues, et au fait qu'elle habitait sur place. Ma grand-mère, alors âgée de 9 ans, l'accompagnait quand il n'y avait pas école.
Le jour de l'accident, les conditions pour le ski étaient délicates. Visibilité nulle, neige très lourde de bas en haut. Mais une course était prévue de longue date, et pour rien au monde Mykhaïlo Hroutchosky ne l'aurait ratée.
La course consistait à partir du sommet du Bec de la Scia, et à arriver le premier devant monsieur le maire et monsieur le curé qui faisaient office d'arbitres devant la mairie. A mi-pente, le dirigeant ukrainien était dans le groupe de tête, avec les frères Glandier de Saint Laurent du Pont, et les frères Joseph et Jean du monastère de la Grande Chartreuse.
A quelques virages de l'arrivée, la cuculle de frère Jean se détacha et vint s'étaler sur le visage d'Auguste Glandier, qui ne voyant plus rien, fit une embardée, accrochant au passage Mykhaïlo Hroutchosky, avant de se rattraper à la robe de bure de frère Joseph, qui se retrouva aussitôt défroqué. Le quatuor franchit en paquet compact la ligne d'arrivée avant de s'étaler sur le perron de la mairie. Mykhaïlo Hroutchosky hurla de douleur en se tenant la cheville, on le déclara vainqueur, monsieur le curé servit l'apéritif avec du vin de messe, repoussant à une autre fois le sermon en ukrainien qu'il avait préparé.
Ma grand-mère assistait à la scène, et du haut de ses 9 ans, courut vers Mykhaïlo Hroutchosky pour le réconforter, en agitant le drapeau national ukrainien que sa mère lui avait confié pour encourager son compatriote.
Ce dernier s'empara du drapeau et déclara solennellement "Je ne pourrais défendre les couleurs de l'Ukraine aux Jeux Olympiques, mais les couleurs nous défendront. Slava Ukraini !". Chamonix refusa tout net le drapeau à cause de la présence de Staline au pied du Mont-Blanc, mais Grenoble reprit l'idée 44 ans plus tard, sur proposition de ma grand-mère auprès du maire de l'epoque, Hubert Dubedout.
Itinéraire suivi : Combe de l'Ours - Bec de la Scia - Col de la Saulce - pied du couloir Ouest et retour par le même chemin
Horaires : 9h-12h30
Photo prise par ma grand-mère aux JO de Grenoble. La délégation soviétique est la 7ème tout au fond. En zoomant, on aperçoit le drapeau ukrainien
© Skitour/MiRO378 vu